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05/10/2014

Giorgio Manganelli, Discours de l'ombre et du blason

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   Il fait aujourd'hui, après une journée de pluie, un temps étrangement limpide, un excellent temps pour aller acheter des livres. Selon moi, je l'ai déjà dit, acheter des livres et en lire sont deux activités différentes, mais la première n'est pas moins noble que la seconde ; elle lui est même étroitement apparentée, puisque le lecteur est au mieux de sa fureur quand il a entre les mains un livre à lui, et d'ailleurs le lecteur doit être convaincu que tout solide en forme de livre est un réceptacle de forces magiques, démoniques, violentes. Une bibliothèque est un dépôt d'instruments, matras et cornues, servant à évoquer animaux des profondeurs, bannières d'abîmes, arômes d'aisselles angéliques. Qui achète un livre a d'ores et déjà assimilé une partie non négligeable, de son mana. En ce qui me concerne, je suis en fait capable d'acheter, outre des livres, des disques, des cahiers, du papier, des crayons, des stylos ; un jour, dans un moment de glorieuse panique, je me suis acheté plusieurs pantalons. Autrefois j'achetais des cravates, mais il n'y avait rien à lire. Aujourd'hui, j'ai mal au dos et j'ai pris un médicament qui m'a un peu abasourdi. Pourquoi écrire, alors ? Pourquoi ne pas aller m'étendre dans un lieu sans danger, vu qu'aujourd'hui c'est la fête de ma faiblesse. Parmi les mystères de la littérature, il en est un qu'il ne faut pas négliger : c'est que la tâche de parcourir cette route, qui depuis toujours n'en finit pas, est confiée à des individus maladifs, lesquels sont d'autant plus hargneux que la tâche est au-dessus de leurs forces.

 

Giorgio Manganelli, Discours de l'ombre et du blason, ou du lecteur et de l'écrivain considérés comme déments, traduit par Danièrel Van de Velde, Seuil, 1987, p. 128-129.

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