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08/12/2013

Jean Tardieu, Margeries, poèmes inédits 1910-1985

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                                                  À deviner

 

— Est-ce que c'est une chose ?

— Oui et non.

­— Est-ce que c'est un être vivant ?

— Pour ainsi dire.

— Est-ce que c'est un être humain ?

— Cela en procède.

— Est-ce que cela se voit ?

— Tantôt oui, tantôt non.

— Est-ce que cela s'entend ?

— Tantôt oui, tantôt non.

— Est-ce que cela a un poids ?

— Ça peut être très lourd ou infiniment léger.

— Est-ce que c'est un récipient, un contenant ?

— C'est à la fois un contenant et un contenu.

— Est-ce que cela a une signification ?

— La plupart du temps, oui, mais cela peut aussi n'avoir aucun sens.

— C'est donc une chose bien étrange ?

— Oui, c'est la nuit en plein jour, le regard de l'aveugle, la musique des sourds, la folie du sage, l'intelligence des fous, le danger du repos, l'immobilité et le vertige, l'espace incompréhensible et le temps insoutenable, l'énigme qui se dévore elle-même, l'oiseau qui renaît de ses cendres, l'ange foudroyé, le démon sauvé, la pierre qui parle toute seule, le monument qui marche, l'éclat et l'écho qui tournent autour de la terre, le monologue de la foule, le murmure indistinct, le cri de la jouissance et celui de l'horreur, l'explosion suspendue sur nos têtes, le commencement de la fin, une éternité sans avenir, notre vie et notre déclin, notre résurrection permanente, notre torture, notre gloire, notre absence inguérissable, notre cendre jetée au vent...

— Est-ce que cela porte un nom ?

— Oui, le langage.

 

 

Jean Tardieu, Margeries, poèmes inédits 1910-1985, Gallimard, 1986, p. 297-298.

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