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22/09/2013

Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour

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                          Chantonner contre la peur

 

                                                             à Rachel Erlich-Giovannoni

 

On naît étrangement à la poésie.

 

On contemple des couchers de soleil, le bord des roses, la venue des formes aimées.

 

On fait ce doit faire un poète : se placer devant le monde, dans les livres et les poèmes des autres, des petits signes, un endroit pour l'affût.

 

On essaie de bouger, de vivre comme ses aînés, de mettre ses pieds dans leurs chaussures, d'habiter les vêtements qu'ils nous ont laissés ; de copier leurs postures.

 

On se dit qu'avec tout cela, on finira bien par toucher son dû, le fruit de ses efforts, qu'à force de fidélité, de services rendus à toute cette beauté, on recevra en retour un paquet de mots, de quoi faire la route.

 

Et puis, un jour, c'est un linge empêtré dans la glaise, le cadavre d'une bête ouverte qui nous fait monter dans la bouche notre première poussée de mots.

 

Le linge entre. Tire en nous. Cherche la plaie où loger et croître.

 

« Et si l'on est heureux que la terre, partout

Soit pareille et colle »

 

On croyait qu'écrire convoquait les choses dans l'ordre, chacune selon son rang, son numéro d'appel. On croyait qu'en séparant le noyau de son fruit on éviterait toute atteinte et que seule la beauté entrerait dans nos mots.

 

Un jour quelqu'un a écrit : « Durci de matière », « Ils ont dit oui /A la pourriture », et encore : « Le linge n'est pas / Ce qui pourrit le plus vite. »

 

Et c'est là, contre toute attente, que l'on a touché ses premiers mots, que l'on a fait sa première ponte.

 

C'est là que l'on a découvert son assise. Sa terre.

 

 

 Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour, éditons Unes, 2013, p. 9-10.

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