05/10/2011
Louis Calaferte, Promenade dans un parc
— L’intelligence, murmurait-il, oui, l’intelligence… La raison, la logique, l’analyse, l’expérience réfléchie, la déduction, le savoir qui permettent de contrôler, de dominer choses et gens, le long, long apprentissage des connaissances multiples, cette supériorité de la pensée…
Tout à sa méditation, le front plissé, les yeux graves, il sautillait dans sa cage d’un point d’appui à un autre, indifférent aux appels bruyants des enfants agglutinés à l’extérieur des barreaux qui cherchaient à attirer son attention et à éveiller sa gourmandise en lui jetant des cacahuètes décortiquées.
Le navire sur lequel nous devions embarquer à une date que nous ignorions était à quai depuis des semaines, et il nous arrivait fréquemment d’aller flâner par beau temps dans l’encombrement du port à seule fin de nous familiariser avec sa forme et son volume puisque c’était à lui que nous allions confier nos destinées au cours de la longue traversée prévue.
Nos bagages étaient prêts, en attente dans le petit couloir de notre appartement dont nous avions pris la précaution de recouvrir de housses le mobilier comme nous le faisions avant chacun de nos déplacements nous tenant éloignés un certain temps, car par nature et éducation ma femme est minutieusement attentive à ces soins ménagers.
Comment se fait-il que le jour du départ, dont j’avais cependant été averti, je ne me trouvais pas à l’embarcadère et qu’elle dût partir seule ; voilà ce qu’après plus de trente ans de solitude, sans nouvelles d’elle, je ne réussis pas à m’expliquer.
Louis Calaferte, Promenade dans un parc, L’imaginaire / Gallimard, 2011 [Denoël, 1987], p. 22 et 91.
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