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Philippe Beck, Opéradiques
Variations I
Ancienneté Bœuf danse droit.
Allant.
Un Bashô franciscain ?
Non.
A. tire le sillon devant.
Le sillon longeur est un bœuf
lancé en arrière — il avance
à l’arrière — proupe, soc de mer
ancienne, terrée,
aimant traceur, pointe de char
suivi et continué.
Sur les petites fleurs
de ballet vertical.
Prose-pays et spirale interdite
ou Cascade-de-la-Vue-Inverse.
Charrue-proue capable de sillon.
Sillage antique est un bœuf.
Bien. Il prose l’arrière
et le vers premier, durci,
et fait glisser pays
sur pays.
Passé précède verdure contée.
Usif, à cause des filles de la voix.
Cardaire est un soc,
près du Tireur, Tracteur,
ou Câble Animal.
Au puits d’alcali
où descend
pèlerin poétique.
Philippe Beck, Opéradiques, Poésie /
Flammarion, 2015, p. 381-382.
07/07/2015 | Lien permanent
Philippe Beck, Dans de la nature
61.
À Anne Morin
Que peut bien le :
« Qui suis-je pour demander
du paradis ici ? »
dans de la nature ?
La question a voyagé
et a de la sève isolée.
Question usée est un tesson
dans de l’usure.
Si elle est plaine criante
enrouée,
alors « Qui suis-je pour... ? »
est l’énergie satirique
qui aère les morceaux de bravoure,
les « Par ici ! » archaïques
dont je canalise les rivières
en pleine cité. Comme celui
qui empoignait grammaticalement
un frêle et gracile pipeau
et marchait sur du pétrole enterré.
« Qui suis-je pour... ? »
est roucoulement de tourterelle,
bête interdite et chantant ardemment.
Les tourterelles font et refont des Oh !
« Oh ! » est l’étiquette sur la Dame qui chante.
Philippe Beck, Dans de la nature, Flammarion,
2003, p. 73.
13/01/2016 | Lien permanent
Philippe Beck, Opéradiques
Hilarité
Je refais l’opéra des enfants,
leurs planches tachetées usinées,
les rues barrées
avant le poème scénique,
l’opus couvrant, que Berg tient
en respect en principe.
Les enfants lisent la presse
depuis cent ans. Enfants réalisants.
Ils mélologuent,
ils connaissent la méthode
du rire. Le ballet retournant.
Le dérampement.
Wallacetown maintenant.
Blackness maintenant.
Balfour Street
en demi-lune méthodique
et aventurée.
Le bâton est électrisé.
Il électrise la panthère.
Pré-musiquée.
Philippe Beck, Opéradiques, Poésie /
Flammarion, 2014, p. 71.
22/06/2016 | Lien permanent
Philippe Beck, Chants populaires
Cendres
Fille Unique spécialise
des cendres.
Ou fille isolée.
Hiver met un manteau sur tout,
et printemps enlève le manteau
de tout, et notamment des tombes.
La glace-manteau.
Tombes sont des pétales dans quel vent ?
Printemps enlève texte d’eau et de nuit.
(Aujourd’hui = époque des cendres
dans le printemps habituel
ou Température.
Elle grise les possibilités du soleil.
Et les pièces dessous.)
Père fait une fin à nouveau.
Nouveau Lit fait deux filles,
ou Filles suivantes —
avec un cœur noir.
Fille Première est l’adversaire.
Fille de Lit Premier.
Elle quitte le salon étoilé.
Tablier gris remplace le ciel.
Père accepte.
Première courbe la tête.
Elle fait les travaux.
Sépare les restes du feu.
Elle a un lit de sable gris.
Elle dort dans le centre sévère,
avant un élan d’oiseaux.
Cendrillon est cloche de cendre.
Enfant du centre gris.
Et de chaufferie.
Elle garde aussi la veilleuse.
Avant l’huile de pierre.
Sœurs supplémentaires
ont le précieux.
Cendrillon tient une branche
sur la tombe de Mère,
arrosée par larmes nouvelles.
D’où l’arbre à l’oiseau blanc.
L’oiseau qui réalise.
Les oiseaux sous un ciel
piquent et repiquent
dans la cendre.
Occasionnels chercheurs
des restes du feu.
Ils font une tempête d’huile ?
Et l’oiseau blanc apporte
robe d’or et d’argent
+ souliers de soie et de gris.
Au retour d’un bal, Belle Habillée
donne habit de soleil à l’oiseau blanc.
Ou Oiseau Blanc.
Elle habite un cœur la nuit.
Provisoirement ?
Elle occupe le jour filmé
normalement.
Danseur Élevé dit
« C’est elle ».
Cendrillon danse.
Cloche peut danser.
Puis elle oublie un soulier.
L’escalier du bal sur terre
a comme un mouchoir blanc.
Et colombes commentent
par des roucou-oucou
la vie de filles supplémentaires.
Elles veulent entrer le pied
dans le soulier oublié.
Oiseaux du Calme sous un ciel
aveuglent les sœurs
au mariage d’une fille des cendres.
Elle a dansé habillée.
Cendre est poudre de verre ou peau ?
(D’après « Cendrillon »)
Philippe Beck, Chants populaires, Flammarion,
2007, p. 35-37.
05/02/2016 | Lien permanent
Philippe Beck, Chants populaires
Chaque poème ou chant populaire s’inspire ici d’un conte « noté » par les Grimm.[…] Les Chants populaires dessèchent des contes, relativement. Ou les humidifient à nouveau. Par un chant objectif. Un conte est de la matière chantée ancienne, intempestive et marquante, à cause d’une généralité. (Philippe Beck, Avertissement, p. 7 et 9).
18. Faille
Tailleur a un fils,
né petit.
Petit Relatif.
Petit-Poucet est variété
de Tom.
Ce sont deux rhumains.
Des coupes.
Tailleur a aussi du cœur
au ventre.
Plus que beaucoup.
Il s’en va pour connaître le monde.
Ce qui s’appelle du monde.
Mère cuisine un adieu.
Avec rivière.
Il va à la cheminée,
couloir vertical
de terre privée à commencement
de ciel.
Vapeur qui monte du bouillon
le lance en haut. Il monte dans les airs
sur la vapeur
et redescend à terre.
Il est au milieu de Monde.
Dans le Grand Extérieur.
À Publicité et Possibilité.
Il commence un voyage.
Soucis divins disparaissent
pour l’instant.
Il va droit devant.
Il est dans la grande forêt,
image de l’Ensemble Menaçant.
Elle a des failles.
Comme une porte.
C’est une grille.
Et une chambre d’or.
Les écus sont comme des appelants
Appelants inconnus ?
Ou des communiqués de chasse ?
Ils manquent comme des pommes comptées.
Les écus dansent et font
cling ! cling ! cling !
Petit va dans les brèches,
les fentes de monde,
et prend.
Fentes d’opéra ?
Il prend quoi ?
Derrière une pièce qui brille,
Il dit « Hé ! hé ! »,
« Ho ! ho ! » ou « Ohé ! ».
Il est ailleurs, et ailleurs.
Successivement.
Héros qui apparaît.
Il va au monde. Indéfiniment.
Une bête le prend dedans.
Il est dans la nuit de monde.
Il a peur.
Il est dans la noire.
Au milieu de chair qui a des mouvements.
Il passe dans l’intervalle des coups.
À l’usine de nuit.
Danger donne le nerf
et le muscle.
Il reste à l’Ensemble de Viande.
Vivant élément.
Ou Chair de Marionnette curieuse.
Jungle ou Manège Menaçant.
Avec des souffles d’enfer.
Il y danse énergiquement.
Maison provisoire est en mouvement.
C’est l’hiver. Il sort la tête
d’un monde sombre et vivant.
Dehors alimente le souvenir
de danse et des vapeurs
mélancoliques.
Souvenir d’Usine Dedans.
D’après « Le voyage du Petit-Poucet »
Philippe Beck, Chants populaires, Poésie / Flammarion, 2007, p. 62-64.
22/04/2011 | Lien permanent
Philippe Boutibonnes, Rémanences
Comme l’homme est et comme sont les animaux nous mourrons pareils. Mélangés à la boue, roulés dans des guenilles ou dispersés avec la cendre. L’homme — l’un identifié comme pas l’autre, et tous ceux de notre espèce — parle et se tait quand il faut. L’homme parle, ressasse, avoue, se confesse et prie. L’homme se dit puis se tait. L’animal couine ou feule, alerte ceux de sa race mais il ne se tait pas. Il ne tient pas sa langue et ne retient ni un secret ni le silence. Il implore par le regard.
L’homme né en d’atroces eaux troubles, dans le sang et les écoulements, vagit. L’hase et le crocodile dans le champ de luzerne ou le marigot, vagissent. Nu, sans voix ni mots ni nom l’homme ne se sait pas mortel. Mortel il l’est et mort il le sera. L’homme naît nu. Nu, l’homme naît laid. Ni plus ni moins qu’un rat pelé, nu et perdu. Ce que perd l’homme perdu n’est pas son être encore inadvenu mais son lieu st son présent qui le nouent en son ici.
Philippe Boutibonnes, Rémanences, dans rehauts, n° 44, octobre 2019, p. 75.
18/11/2019 | Lien permanent
Philippe Jaccottet, Observations, I
L’amour lui-même ne doit-il pas être absolument sans but ? Ainsi une sorte de bonheur semblerait possible même dans les plus dures conditions.
La lumière du monde n’est pas moins pure qu’au temps des Grecs ; mais moins proche, et nos paroles moins limpides. Il es inquiétant de songer à cette évolution.
La vanité est tressée dans la littérature. Elle détruit. Bonheur de la naïveté.
Pas de hâte. On est toujours trop pressé. La source est bien gardée : que de contes nous l’ont dit ! Ce n’est pas encore aujourd’hui que tu dissiperas l’obscurité qui t’entoure, que tu deviendras le compagnon des oiseaux.
Philippe Jaccottet, Observations I, Gallimard, Pléiade, 2014, p.44, 46, 56, 62.
06/11/2024 | Lien permanent
Philippe Jaccottet, Le bol du pèlerin (Morandi)
Une semaine avec les éditions La Dogana
[...] ces paysages de Morandi sont, à les bien regarder, très étranges. Tous, rigoureusement, « sans figures », et si la plupart comportent des maisons, celles-ci ont souvent des fenêtres aveugles : on les dirait fermées, sinon vides.
Ce serait une erreur pourtant d'y voir l'image d'un monde désert, d'une « terre vaine », comme celle du poème d'Eliot ; je ne crois pas que, même sans le vouloir ou sans en être conscient Morandi ait fait de cette partie de son œuvre une déploration sur la fin des campagnes.
Certains critiques ont noté que le peintre aimait à laisser se déposer, quand il ne le faisait pas lui-même, une légère couche de poussière sur les objets de ses natures mortes : était-ce encore une couche de temps qui devait les protéger et les rendre plus denses ? Sur ses paysages aussi, on a souvent cette impression d'un voile de poussière. Il me vient l'image puérile du « marchand de sable », parce que son office est d'apaiser, d'endormir. Je pense même à la « Belle au bois dormant » ; on pourrait nommer ainsi la lumière égale, jamais scintillante ou éclatante, n'opérant jamais par éclairs ou trouées, qui les baigne ; même aussi claire que l'aube, avec des roses et des gris subtils, elle est toujours étrangement tranquille. Paysages « aux lieux dormants ».
Philippe Jaccottet, Le bol du pèlerin (Morandi), La Dogana, 2006, p. 45-46.
30/11/2013 | Lien permanent
Philippe Soupault, Georgia, Épitaphes, Chansons
Frères aveugles
Pensez à tous ceux qui voient
vous tous qui ne voyez pas
où vont-ils se laissez conduire
ceux qui regardent leur bout de nez
par le petit bout d'une lorgnette
Pensez aussi à ceux qui louchent
à ceux qui toujours louchent vers l'or
vers la mer leur pied ou la mort
à ceux qui trébuchent chaque matin
au pied du mur au pied d'un lit
en pensant sans cesse au lendemain
à l'avenir peut-être à la lune au destin
à tout le menu fretin
ce sont ceux qui veillent au grain
Mais ils ne voient pas les étoiles
parce qu'ils ne lèvent pas les yeux
ceux qui croient voir à qui mieux mieux
et qui n'osent pas crier gare
Pensez aux borgnes sans vergogne
qui pleurent d'un œil mélancolique
en se plaignant des moustiques
Pensez à tous ceux qui regardent
en ouvrant des yeux comme des ventres
et qui ne voient pas qu'ils sont laids
qu'ils sont trop gros ou maigrelets
qu'ils sont enfin ce qu'ils sont
Pensez à ceux qui voient la nuit
et qui se battent à coups de cauchemars
contre scrupules et remords
Pensez à ceux qui jours et nuits
voient peut-être la mort en face
Pensez à ceux qui se voient
et savent que c'est la dernière fois
Philippe Soupault, Georgia, Épitaphes, Chansons, préface de Serge Fauchereau, Poésie / Gallimard, 1984, p. 254-255.
04/11/2011 | Lien permanent
Philippe Jaccotet, L'Ignorant
Chanson
Qui n’a vu monter ce rire
comme du fond du jardin
la lune encore peu sûre ?
Qui n’a vu s’ouvrir la porte
au bout de l’allée de pluie ?
(Ah ! qui entre dans cette ombre
ne l’oublie pas de sitôt !)
Les bras merveilleux de l’herbe
et ses ruisselants cheveux,
la flamme, du bois mouillé
tirant rougeur et soupirs…
(Qui s’enfonce dans cette ombre
ne l’oubliera de sa vie)
Qui ‘a vu monter ce rire…
Mais toujours vers nous tourné,
on ne peut qu’appréhender
sa face d’ombre et de larmes.
Philippe Jaccottet, L’Ignorant, dans
Œuvres, Gallimard, Pléiade, 2014, p. 147.
07/11/2024 | Lien permanent