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Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline
Encore une fois les hibous
J’allais à travers temps évoquant l’avenir
Que j’avais vu la veille au sein de quelque rêve
Et le long de l’espace au rebours de l’agir
Je laissais s’écouler glauque et vive la sève
De grands arbres plantés à l’instar du menhir
Pour marquer du soleil la fugitive trêve
Et qu’à leurs pieds géants les ans viennent gésir
En attendant le jour où l’homme se relève
Ni debout ni couchés des êtres à genous
Plantaient leur front plaintif dans une terre aride
La bouche dilatée arrachant des caillous
Mais je ne voudrais pas d’un destin aussi dous
Souligner la tendance assurément putride
C’est lorsque la nuit vient que volent les hibous
Qui cause ? Qui dose ? Qui ose ?
Si j’osais je dirais ce que je n’ose dire
Mais non je n’ose pas je ne suis pas osé
Dire n’est pas mon fort et fors que de le dire
Je cacherai toujours ce que je n’oserai
Oser ce n’est pas rien ce n’est pas peu de dire
Mais rien ce n’est pas peu et peu se réduirait
À ce rien si osé que je n’ose produire
Et que ne cacherait un qui le produirait
Mais ce n’est pas tout ça Au boulot si je l’ose
Mais comment oserai-je une si courte pause
Séparant le tercet d’avecque le quatrain
D’ailleurs je dois l’avouer je ne sais pas qui cause
Je ne sais pas qui parle et je ne sais qui ose
À l’infini poème apporter une fin
*
Acriborde acromate et marneuse la vague
au bois des écumés brouillés de mille cleurs
pulsereuse choisit un destin coquillage
sur le sable où les nrous nretiennent les nracleus
Si des monstres errants emportés par l’orague
crentaient avec leurs crons les crepâs des sancleurs
alors tant et si bien mult et moult c’est une ague
qui pendrait sa trapouille au cou de l’étrancleur
Où va la miraison qui flottait en bombaste
où va la mifolie aux creux des cruses d’asthe
où vont tous les ocieux sur le chemins des mers
on ne sait ce qui court en poignant sur la piste
on ne sait ce qui crie en poussant le tempiste
dans le ciel où l’apur cherche un bénith amer
on ne sait pas
Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline, Le Point du jour,
Gallimard, p. 197-198, 141-142, 139-140.
27/09/2011 | Lien permanent
Raymond Queneau, Une histoire modèle
Le malheur des hommes fait aussi l'objet des récits imaginaires.
Les récits imaginaires ne peuvent avoir pour sujet que le malheur des hommes, sinon, ils n'auraient rien à raconter. Que la conclusion en soit heureuse ou tragique, il faut qu'il y ait eu risques, perturbations, troubles. Dans les idylles les plus anodines, il y a au moins l'ombre du danger. Tout le narratif naît du malheur des hommes.
Travail et littérature.
La littérature est la projection sur le plan imaginaire de l'activité réelle de l'homme ; le travail, la projection sur le plan réel de l'activité imaginaire de l'homme. Tous deux naissent ensemble. L'une désigne métaphoriquement le Paradis Perdu et mesure le malheur de l'homme. L'autre progresse vers le Paradis Retrouvé et tente le bonheur de l'homme.
Emploi de la vie humaine.
L'emploi normal de la vie est donc de travailler et d'imaginer.
Raymond Queneau, Une histoire modèle, Gallimard, 1966, p. 21, 103, 104
23/04/2013 | Lien permanent
Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline
L’existence tout de même quel problème
J’en ai assez de vivre et non moins de mourir
Que puis-je faire alors ? sinon mourir ou vivre
Mais l’un n’est pas assez et l’autre c’est moisir
Aussi me peut-on voir errer plus ou moins ivre
C’est un fait je pourrais écrire un bien beau livre
Où je saurais bêler en me voyant périr
Mais cette activité nullement ne délivre
De faire de la mort l’objet de son désir
Les arbres qui marchaient n’inclinaient point leur tête
Les collines courant s’apprêtaient à la fête
De son haut le soleil semait dru ses rayons
La nature en ses plis absorbait ses victimes
L’absurde coq chantait ses prouesses minimes
Et je cherchais la rime en rongeant des crayons
Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline, dans Œuvres complètes, I, Pléiade / Gallimard, 1989, p. 322.
15/09/2015 | Lien permanent
Raymond Queneau, Texticules, dans Contes et propos
Dans la lettre
L'abri, c'est magistral à l'intérieur d'un a, par exemple, d'un o, d'un i — intérieur mince, bien sûr, que celui de l'i, mais combien certain, tiède même, gemütlich. Avec ça bien sûr, on ne va pas loin sur le chemin de la renommée. Bien plutôt, on va lentement. Oh, combien d'écrivains et combien d'écrivaines
qui sont partis joyeux pour des courses lointaines
à l'intérieur d'un i se sont ensevelis.
Si l'on est désinvolte on peut choisir autre chose : l'aleph, l'oméga, le sampi.
Ah petit troupeau, petit troupeau, que tu nous fais souffrir.
Paralogies
Que s'apprête un peu, loin de, le ce qu'il faut dire alors les échos qu'aux cocoricos d'une longue carte infuse mais dérisoire les limites répondent, répondent. C'est minuit. Certains écrivent, certains rêvent. L'encre coule entre les doigts de la lune en ses carrosses d'algèbres. À côté de, presque, environ, l'étage est annoncé par le carillon flagrant d'une thune. Il est toujours midi. L'heure n'a pas changé depuis le silurien. À peine a-t-elle changé. À peine : juste de quoi ne plus devenir troglodyte.
Le papier blanc laissé sur la table bat des ailes et prend son vol adéquat, idoine, certain.
Raymond Queneau, Texticules, dans Contes et propos, Gallimard, 1981, p. 209-210 et 214.
17/11/2014 | Lien permanent
Raymond Queneau, Le chien à la mandoline
Voilà que j’assiste à un grand dîner officiel
Après vous Après moi L’échange volatile
De ces mots survolant le côtes de rastron
Me semble en vérité de plus en plus futile
Depuis que j’ai gâté de sauce mon plastron
Pour aller au banquet des rois du mirliton
Je m’étais habillé non sans un certain style
On mangea de l’orange avec du caneton
Et des petits gâteaux de chez Lefèvre-Utile
Les yeux écarquillés je somnolais pantois
Il y eut un discours puis deux puis trois
Et moi-même admirant ma conduite exemplaire
Mais en baissant les yeux épouvanté je vois
La tache que j’avais plaquée avec mes doigts
Sur ma chemise blanche effort vestimentaire
Raymond Queneau, Le chien à la mandoline, Gallimard,
1965, p. 179-180.
05/07/2015 | Lien permanent
Raymond Queneau, Pour un art poétique
Un train qui siffle dans la nuit
C’est un sujet de poésie
Un train qui siffle en Bohême
C’est là le sujet de poème
Un train qui siffle mélod’
Ieusemet c’est pour une ode
Un train qui siffle comme un sansonnet
C’est bien un sujet de sonnet
Et un train qui siffle comme un hérisson
Ça fait tout un poème épique
Seul un train sifflant dans la nuit
Fait un sujet de poésie
Raymond Queneau, Pour un art poétique, dans
Si tu t’imagines, Le point du jour/Gallimard, 1952,
- 251.
20/06/2016 | Lien permanent
Raymond Queneau, Le chien à la mandoline
Pour un art poétique (suite)
Prenez un mot prenez-en deux
faites–les cuir’ comme des œufs
prenez un petit bout de sens
puis un grand morceau d’innocence
faites chauffer à petit feu
au petit feu de la technique
versez la sauce énigmatique
saupoudrez de quelques étoiles
poivrez et puis mettez les voiles
où voulez-vous en venir ?
À écrire
Vraiment ? à écrire ?
Raymond Queneau, Le chien à la mandoline,
Gallimard, 1965, p. 65.
18/10/2016 | Lien permanent
Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline
Dodo, l’enfant ut
Enfants qui déchiffrez dans l’ambre des agathes
Des entrailles le miel des lapins étendues
Sur l’étal du marchand avec leurs quatre pattes
Pour qu’ils ne courent pas deux ensemble cousues
Enfants qui préférez le goût des aromates
Au vol des papillons sur les pousses touffues
Y semant le pollen de leurs corps antennates
Exemples confondants des ères révolues
Enfants qui déchiffrez dans le cercle de lune
Un bûcheron bossu qui porte sa fortune
Quelque fagot de bois valant bien quatre sous
Enfants qui dans la nuit apercevez la hune
De bateaux sinistrés recouverts par la hune
Enfants vous qui rêvez enfants endormez-vous
Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline,
Gallimard, 1965, p. 221-222.
18/10/2017 | Lien permanent
Raymond Queneau, L'instant fatal, II
Quelqu’un
Quand la chèvre sourit
quand l’arbre tombe
quand le crabe pince
quand l’herbe est sonore
plus d’une maison
plus d’une coquille
plus d’une caverne
plus d’un édredon
entendent là-bas
entendent tout près
entendent très peu
entendent très bien
quelqu’un qui passe et qui pourrait bien être
et qui pourrait bien être quelqu’un
Pins, pins et sapins
Le ciel la mer saline et les rochers plein d’eau
le cœur de l’anémone auprès des pins têtus
la marche auprès du ciel la marche auprès de l’eau
et la course assoiffée auprès des pins têtus
herbes mousses lichens et toutes les bestioles
le regard s’est perdu sous les sapins têtus
le regard qui s’égare après tant de bestioles
les peuples effarés sous les sapins têtus
le ciel la mer saline où sabre le soleil
tranche la tête plane aux sapins éperdus
se cabrant dans le ciel et se cabrant dans l’eau
tandis qu’une bestiole à l’ombre d’un lichen
cerne de son trajet le bois des pins têtus
sans qu’un regard disperse une route inutile
Raymond Queneau, L’instant fatal, II, dans Œuvres complètes, I, édition Claude Debon, Pléiade / Gallimard, 1989, p. 96-97.
14/09/2015 | Lien permanent
Raymond Queneau, Une trouille verte, dans Contes et propos
Depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours redouté ce qui pourrait me causer quelque ennui, aussi ai-je eu peur successivement de Croquemitaine, des figures de cire des Musées Dupuytren, des places trop fréquentées par les véhicules, des voyous, des pots de fleurs qui tombent sur la tête, des échelles, de la chaude-pisse, de la vérole, de la Gestapo, des V2. La paix n’a bien sûr, en aucune façon, calmé ces alarmes : ainsi, l’autre soir, je mange de la purée de marrons et je me mets à rêver que je suis dans une djip et que le conducteur ne parvient pas à éviter une épaisse colonne, je la vois venir, je me dis qu’on rentre dedans, ça y est, on est rentré dedans, tout noircit ; dans le noir, je me dis : je suis mort, je me dis : c’est comme ça quand on est mort, et puis je me réveille, l’estomac gros et le cœur battant. J’allume, je regarde la montre, il est deux heures, deux heures du matin, bien tôt encore, et je me lève pour aller pisser. Comme je ne pratique pas le pot de chambre, il faut que je me rende aux vécés. Il y a un long couloir. Je le traverse en disant : si ceci, si cela. J’arrive à me faire peur et je pénètre dans les chiottes bien heureux de pouvoir fermer la porte derrière moi, pour couper court, et se sentir chez soi, et non seulement fermer la porte, mais aussi tourner le verrou.
Je pisse.
Je tire sur la chasse d’eau.
Quand l’hygiénique glouglou se fut tu, je perçus dans le couloir la présence de néants, sans ambiance d’existence, ce qui me fit chaud dans les dents, froid sous les ongles, horripilation générale. Une frousse abjecte s’empara de mon âme et, prenant ma tête à deux mains, je m’assis sur le siège des vatères en gémissant sur mon sort immonde.
[...]
Raymond Queneau, Une trouille verte, dans Contes et propos, Gallimard, 1981, p. 157-158.
26/11/2015 | Lien permanent