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09/04/2012

Julien Gracq, La Forme d'une ville

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   La forme d'une ville change plus vite, on le sait, que le cœur d'un mortel. Mais, avant de le laisser derrière elle en proie à ses souvenirs — saisie qu'elle est, comme le sont toutes les villes, par le vertige de métamorphose qui est la marque de la seconde moitié de notre siècle —, il arrive ainsi, il arrive plus d'une fois que, ce cœur, elle l'ait changé à sa manière, rien qu'en le soumettant tout neuf encore à son climat et à son paysage, en imposant à ses perspectives intimes comme à ses songeries le canevas de ses rues, de ses boulevards et de ses parcs. Il n'est pas nécessaire, il est sans doute même de médiocre conséquence qu'on l'ait souvent habitée. Plus fortement, plus durablement peut-être, agira-t-elle sur nous si elle s'est gardée en partie secrète, si on a vécu avec elle, par quelque singularité de condition, sans accès vrai à son intimité familière, sans que notre déambulation au long de ses rues ait jamais participé de la liberté, de la souple aisance de la flânerie. Pour s'être prêtée sans commodité, pour ne s'être jamais tout à fait donnée, peut-être a-t-elle enroulé plus serré autour d'elle, comme ue femme, le fil de notre rêverie, mieux jalonné à ses couleurs les cheminements du désir.

 

Julien Gracq, La Forme d'une ville [José Corti, 1985], dans Œuvres complètes, II, édition établie par Bernhild Boie, avec la collaboration de Claude Dourguin, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1995, p. 773.