15/12/2015
Hilda Doolittle, Pour l'amour de Freud
[...] Le choc réel que m’avait personnellement infligé la guerre de 1914-1919 n’avait pas une chance de guérir. Mes séances avec le Professeur [= Freud] étaient à peine commencées que déjà apparaissaient les signes avant-coureurs et les symboles de l’épreuve qui approchait. Et la chose que je voulais essentiellement combattre à découvert, la guerre, ses causes et effets, avec ses inévitables répercussions de dépressions nerveuses et de désordres neurologiques, fut réactivée en profondeur. Devant la tête de mort de la croix gammée marquée à la craie sur le trottoir et menant à la porte même du Professeur, je dois, en toute décence, calmer aussi bien que je puis ma phobie personnelle, et même avec le peu de pouvoir dont je pourrais disposer, lui ordonner, pour le temps présent en tout cas, de retourner dans sa caverne souterraine.
Là il grandit et mordit ses chaînes et se détacha seulement à la fin, quand les terreurs pleinement apocryphes du feu et du soufre, de la trombe et du déluge et de la tempête, du Jour biblique du Jugement et de la Dernière Trompette, cessèrent d’être des abstractions, de mortelles terreurs inconcevables, mais devinrent des choses qui arrivaient chaque jour, chaque nuit, et pendant un moment à chaque heure du jour et de la nuit, à moi-même et à mes amis, à tout le merveilleux comme à tout le terne et ordinaire peuple de Londres.
Hilda Doolittle, Pour l’amour de Freud, traduit de l’anglais par Nicole Casanova, préface d’Elisabeth Roudinesco, Des femmes, 2009, p. 140-141.
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