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10/06/2023

Carla Lonzi, Nous crachons sur Hegel : recension

Carla Lonzi, nous crachons sur Hegel

Un peu d’histoire : les six textes traduits ici ont été rédigés par Carla Lonzi (1931-1982) entre le printemps 1970 et début 1972, portant les idées du groupe « Rivolta Femminile » qu’elle avait fondé avec quelques femmes, ainsi que la maison d’édition Scritti di Rivolta Femminile. Il faut saluer le travail des traductrices, le texte semblant avoir été écrit directement en français ; elles insistent sur le contenu du féminisme de Carla Lonzi, hérité des États-Unis où elle avait séjourné : « féminisme de la parole et de l’écoute, attentif aux relations de pouvoir qui traversent toutes les dimensions de l’existence, jusqu’aux plus intimes. » Le dernier chapitre s’ouvre par une affirmation qui donne le ton de l’ensemble : « La femme appartient à l’espèce vaincue : vaincue par le mythe de l’homme. » Ce mythe est analysé et un autre statut de la femme proposé.

Commençons par quelques propositions de Rivolta Femminile, qui prennent à la racine ce qui, dans toutes les civilisations, a placé les femmes sous la domination des hommes :

 

                       L’image de la féminité avec laquelle l’homme a interprété la femme n’était que son invention.

 

                  La femme est l’autre par rapport à l’homme. L’homme est l’autre par rapport à la femme. L’égalité n’est qu’une tentative idéologique d’asservissement de la femme à un niveau supérieur.

 

Cette infériorité est de très longue date le fait de l’Église, mais ajoute Carla Lonzi, « la psychanalyse nous a trahies, le marxisme nous a vendues à la révolution hypothétique. » Freud, tout comme Reich, est rejeté et il faut lire les analyses précises qui mettent au jour les fondements idéologiques sur lesquels reposent les concepts de la psychanalyse ; l’homme, d’ailleurs, ne se cachait pas pour dire l’infériorité de la femme, pensée claire dans une lettre à sa fiancée citée ici : « Cher trésor, pendant que tu te réjouis des tâches domestiques, je suis tout au plaisir de résoudre l’énigme de la structure du cerveau ». Carla Lonzi oppose à tout discours de hiérarchie entre l’homme et la femme une évidence : « Le sexe féminin est le clitoris, le sexe masculin est le pénis ». C’est la culture patriarcale pour la reproduction de l’espèce qui a primé. Mutilation culturelle de la sexualité féminine, qui dépend du clitoris : « Le plaisir vaginal a été valorisé par toute une culture masculine, orientale et occidentale, et il a trouvé dans les théories freudiennes et reichiennes l’étayage pour prolonger sa gloire pendant un millénaire encore. ».

Très longtemps il a été difficile pour une femme de se mettre à l’écart de ce modèle et d’avoir son plaisir par l’auto-érotisme. Dès le XVIIIe siècle, pour des raisons économiques — la crainte, non justifiée, de la dénatalité — des médecins ont condamné l’onanisme ; pour les femmes, il s’agissait selon le docteur Tissot d’un « monstre qui renaît chaque jour et auquel les filles s'adonnent avec d'autant plus de confiance qu'il n'en résulte pas de fécondité et que […] l'on n'a pas à recourir à l'avortement »*. Le modèle masculin prédominant accepté par les femmes a contribué à les écarter de la recherche de leur plaisir, ne serait-ce que par « peur panique de se découvrir comme être humain en dehors du destin du couple ». Carla Lonzi retrace toute l’histoire de la femme à partir du moment où elle sort du milieu parental ; tout la conduit dans la société à se convaincre « qu’elle est avec un homme à la hauteur de la haute idée qu’elle se fait de l’homme ». Pour Rivolta Femminile, la question de l’égalité ne se pose pas ; garantie par la loi, elle implique en effet qu’il faut supprimer la différence entre homme et femme dans la société : certes, mais l’égalité est une notion qui concerne l’État et la place des citoyens en son sein, imaginer qu’il est essentiel d’obtenir cette égalité, ce serait accepter l’intégration des femmes dans la société patriarcale. La revendication n’est pas négligeable si n’est pas laissé de côté le plus important, l’altérité qui sépare de toute manière la femme de l’homme.

La séparation posée a des conséquences dans divers domaines. La femme ne refuse pas la procréation, par exemple, mais il ne s’agit pas pour elle de penser à garantir la continuation de l’espèce, « Nous ne donnons des enfants à personne, ni à l’homme ni à l’État. Nous les donnons à eux-mêmes et nous nous restituons à nous-mêmes. » L’altérité est aussi à vivre dans le domaine de l’art et Carla Lonzi préconise de garder une distance vis-à-vis des œuvres masculines : les célébrer, ce serait « céder au racolage historique au service de notre domination ».

On ne peut nier que les femmes aient été considérées comme inférieures dans les sociétés occidentales. Le code Napoléon (1804) leur donnait le même statut qu’à l’enfant mineur et il faut toujours rappeler que le droit de vote leur a été « accordé » (!) en octobre1944, et ce n’est que depuis le 13 juillet 1965 qu’elles peuvent ouvrir un compte en banque sans l’autorisation du mari. Que les analyses de Carla Lonzi ne soient pas recevables aujourd’hui — cinquante ans après leur publication — ne peut étonner et il faudra sans doute encore quelques générations pour qu’elles aient des conséquences pratiques. On ne détruit pas l’idéologie d’une société patriarcale seulement en en montrant les caractères nocifs.

 Carl Lonzi, Nous crachons sur Hegel, traduction de l’italien Patrizia Atzei et Muriel Combes, ’’Écrits féministes’’, éditions NOUS, 2023, 176 p., 15 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 26 mars.2023/

 

* Tissot, L’Onanisme, ou dissertation physique sur les maladies produites par la masturbation

 

 

 

 

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