16/01/2019
Borges, Histoire universelle de l'infamie
Le rédempteur effroyable, Lazarus Morell
En 1517, le père Bartholomé de Las Casas eut très grande pitié des Indiens qui périssaient dans les laborieux enfers des mines d’or antillaises. Il proposa à l’empereur Charles Quint d’importer des nègres qui peineraient à leur place dans les laborieux enfers des mines d’or antillaises.
On doit à cette curieuse substitution d’un philanthrope une infinité d’événements : le bluesde Hardy, le succès remporté à Paris par le peintre uruguayen don Pedro Gigari, la belle prose âpre de don Vincente Rossi, également uruguayen, la grandeur mythique d’Abraham Lincoln, les cinq cent mille morts de la guerre de Sécession, les trois milliards et cinq cents millions dépensés en pensions militaires, la statue de l’imaginaire Falucho, l’admission du verbe « lyncher » dans la treizième édition du dictionnaire de l’Académie espagnole, le film impérieux Hallelujah, la vigoureuse charge à la baïonnetteconduite par Soler à la tête de ses « Bruns et Noirs » au Cerrito, la grâce de Mlle Une telle, le noir que Martin Fierro assassina, la lamentable rumba Le vendeur de cacahuètes, le napoléonisme arrêté et emprisonné de Toussaint Louverture, la croix et le serpent à Haïti, le sang égorgé des chèvres par le couteau du papaloï, la habanera, mère du tango, le candombe.
En outre : l’existence magnifique et coupable de Lazarus Moerll, l’atroce rédempteur.
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Borges, Histoire universelle de l’infamie, dans Œuvres complètes, I, édition Jean-Pierre Bernès, Pléiade / Gallimard, 1995, p. 303.
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