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27/02/2012

Denis Ferdinande, Une phrase, juste

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et retournant, y retourne, de laquelle il aura été, quatre fois dix spectres d’ans treize fractions de seconde puis fracture, enfoui, lui, dans l’argile à même l’argile, ossements pour d’autres qui firent éclater l’argile, passé un siècle de siècles, ce furent les hommes, parmi lesquels il retourne, se souvenant mais de quoi qui ne soit rêvé plutôt, que tout retourne, alors retourne, et tout est au bord avec ce retour de retourner, or par quel retour retourner d’abord, demande-t-il, par quel bord, de ce puits, alors qu’il n’est que de s’y jeter, alors se jette, lumière dans un jardin où il se tient parmi les siens et les très-proches, table jonchée d’aliments et d’alcools, c’est l’après-midi, joie dans ce jardin, tous parlent riant de toute parole que toute soit possible, d’un rire par lequel le sol originaire se convulse et respire, toute végétation, dans la lumière d’un ancien septembre si ce n’est spectrembre, riant de ces paroles les si chers visages, n’en revenir d’aucun revenant, que cela se tint et sera revenu, pouvait revenir, reviendrait encore, puis le puits se prolonge, sur d’autres puits, il avec la pluie, la douce averse s’y déversant, un parc, dans l’univers où s’archivent l’hiver et l’hier, déambule à tâtons un corps parce qu’il fait nuit, et lentement parce qu’il a froid, il sait n’y être plus déjà, qu’il est comme déjà mort, une heure seule, écoulée, qui s’éternise cependant, et « fini » prononce-t-il, quatre lettres dont il n’a pas le pouvoir d’accélérer le constat, heure qui n’est plus à l’instant où l’un le découvre dans le givre, et constate, arrivée l’aurore, autre lueur, pour l’heure s’éternise l’heure le mouvement de son crâne en direction du ciel fait craquer le givre à son cou, astres d’un éclat inhabituel qu’il voudrait dénombrer qu’il dénombre comptant d’autres astres, comme s’il lui fallait à tout prix effectuer ce calcul lui qui n’aura rien calculé de toute son existence, à peine appartiennent-ils encore, ces astres, à lui, à la terre, puisque, presque, la terre n’est plus, ou d’autres pour d’autres, puis il neige, et par cette neige lui semble qu’aura éclaté tout astre, projetant des millions d’éclats dans ce parc sans plus d’existence qu’un flocon, ensuite le puits encore, par lequel il retourne, les visions se mêlent aux visions s’emmêlent jusqu’à ne plus laisser trace que d’un reste de lueur, exténuée et sans contour, qu’il regarde, spectres d’étoiles dévalant l’univers, et toute mémoire sursaute au-devant de ce passage mille fois relayé, lui qui n’a plus d’yeux, voyant qu’il ne voit que comme il lui était possible de voir en rêve, par cet autre œil qu’il sera devenu, spectre parmi les spectres, le monde physique, s’il est encore, il n’en connaît pas d’accès, alors erre dans un puits de puits où la lumière a cessé de pénétrer, mémoire aveugle dérivant vers les profondeurs de ce qu’aura été la terre, qu’un autre rêve, autre part, accès auquel il n’accède pas, dérivant plus encore, alors que c’eût été la chance, l’autre se réveille, et se prononce en lui « l’accès aura été le rêve », phrase que lui aura soufflé le rêve sans lui en souffler le sens, mais encore phrase dont il lui faudra se souvenir à moins qu’elle ne s’efface, lui l’efface, n’en connaissant pas le monde, et retourne, mais où ça qui ne soit perdu depuis toujours, remonter l’avenue R traverser le square S, le jardin T, emprunter dans le désordre les rues U, V, W, cela jusqu’à l’épuisement des lettres, Y, fin de ville, la terre ne va pas plus loin, Z, à l’extrémité, au bord d’où il n’y a plus de terre, ravin à ce bord, et nuit, un homme se tient, seul, et prie, renouvelant les gestes lointains de la prière, il ne sait que prier, ni même qui, mais prie, implore mais qui, et quoi, éprouvant l’intensité de ce temps arraché au temps, du souffle de cette terre arraché à la terre, le vent gonfle sa tunique, voile rêvant de s’embarquer, hors lui, dans l’infini de cette nuit pénétrant sa rétine, il ne se retourne pas, afin de retourner, ayant tout quitté, quitte de ce qu’il aura vu, ayant tout donné, un seul pas et c’en est fini, qu’il effectue mais le sol ne se dérobe pas sous ses pas, car il y a un sol passé le sol, passerelle que déploient chacun des pas d’un corps sans plus de consistance, et l’on comprend qu’il faut se réveiller, et l’on se réveille, effectuant quelques pas dans l’obscurité vers la fenêtre, stabilité étrange de la vision s’acheminant d’est vers l’ouest, détourner le regard, telle table où sont dispersés, pêle-mêle, les feuillets de ce qui ne constituerait probablement jamais un livre, tout juste introduiraient-ils ce livre impossible, une phrase se répète de feuillet en feuillet, mille fois corrigée, corrigeant mille fois les mille corrections [...]

 

Denis Ferdinande, extrait de Une phrase, juste, à paraître au printemps 2012 aux éditions l’Atelier de l’agneau.

 

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