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11/06/2012

Christiane Veschambre, Triptyque de la chambre secrète

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   Un triptyque est un ouvrage de peinture, dit le dictionnaire, composé d'un panneau central et de deux volets mobiles susceptibles de se rabattre sur le panneau en le recouvrant exactement.

   Celui-ci n'a que des volets.

 

  Sur le premier volet, la chambre secrète est précédée de l'antichambre.

   L'antichambre tient de la grotte par son obscurité. Mais n'est pas archaïque. Plutôt infernale. On s'y tient sur une chaise. On a vingt ans. On attend : c'est une salle d'attente. On peine à voir celles qui se tiennent sur les autres chaises disposées autour de la salle, visages baissés vers l'ombre.

   Aux murs, des tableaux. Nombreux, encadrés, cossus. Visibles, eux, malgré l'ombre dont ils ne semblent pas affectés.

   Aujourd'hui, où j'écris ceci, leur propriétaire est mort depuis longtemps. C'était un marchand de viande morte. Un passeur pour clandestines. Chacune d'entre elles avait dû au préalable rassembler l'argent du passage.

   Lorsque vient son tour, on entre dans la salle où cela se passe. Après l'obscurité de la salle d'attente, la lumière y est violente. Crue : comme de la chair. Le marchand est là, il est vieux moins par l'âge que par cette ombre sale déposée on ne saurait dire où sur sa face. Il est sans visage sinon celui du passeur marchand qui voit défiler les clandestines comme autant de cadres à poser dans la salle d'attente autour des gravures et peintures où tente de se représenter le vivant.

   Il est sans regard aussi, et l'on n'aura aucun souvenir de sa voix (une voix sans timbre, comme la face sans visage) qui, d'abord, exige le prix convenu. La lumière de la salle, c'est pour l'argent ; l'argent, ici, est lumière. Fait lumière dans la lumière. Ne glisse pas de l'ombre d'un sac à l'ombre d'un tiroir. Cru, lui aussi, il s'ouvre dans les mains froides sous la lumière blanche portée à sa plus grande intensité. La face un peu sale du marchand s'efface sous l'argent cru.

 

Christiane Veschambre, Triptyque de la chambre secrète, "Poésie en voyage", La Porte, 2012, np.

6 nos, 20 €, Yves Perrine, 215 rue Moïse Bodhuin, 02000 Laon.