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Rechercher : James Sacré

James Sacré, Parler avec le poème

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                 Une semaine avec James Sacré

 

                   Rien de trop solide sur quoi bâtir

                     (Poésie, lyrisme, modernité)

 

Poésie

Une poétique oui, si par ce mot on entend façons d'écriture ou style ; mais je n'ai pas de principes  a priori, de recettes que je voudrais utiliser ou illustrer. Sans exclure pour autant que cela ne se fasse pas  à mon insu. Et quand même, bien sûr, quelques convictions (ou du moins des goûts) : que la poésie par exemple ne met aucun élément du langage à l'écart ; qu'elle ne sait pas ce qu'elle est elle-même entre expérience et langage (y compris entre l'expérience qu'elle fait du langage et les mots qu'elle emploie) ; qu'elle est quelque chose d'aussi vague et fragile que la vie en somme. Oui un signe de vie qui peut-être parfois aussi magnifique que détestable, ou, à l'inverse, aussi misérable que bouleversant. Affaire de relation à l'autre et à soi-même dans le tissage arbitraire (ce qui nous renvoie à nos aveuglements sur nous-mêmes) d'une morale avec nos divers sentiments et nos approximatifs savoirs.

 

James Sacré, Parler avec le poème, La Baconnière, 2013, p. 141.

 

 

 

 

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01/02/2014 | Lien permanent

James Sacré, Le paysage est sans légende,

James Sacré, Le paysage est sans légende, paysage, temps

         Malgré des mots qu'on y met

 

Je me rappelle très bien, près d'une ville dont on pourrait dire le nom

La forme d'un village courant sur l'arête d'un long rocher

On le voir à partir d'un autre parvis de pierre

De ce côté-ci de la faille avec du vert qui suit un cours d'eau.

Il y a eu soudain la présence d'un jeune garçon

Dans un vêtement blanc, son invite à traverser. Quelques mots.

On pourrait dire son nom et donner une adresse.

Une autre année le village est resté dans la solitude de nos yeux.

Dans son peu de vert, avec le brillant d'un souvenir.

 

Une autre année presque tout

Disparaît dans un poème.

 

                                          *

 

Je m'en retourne où je ne verrai pas

Ce qui ressemble à du paysage déchiré dans la montagne;

Si le vif des pentes nues

En cette fin d'octobre, et quelques silhouettes dans le lointain

Peut-être une ou deux mules, la pointe d'un capuchon

Ou le geste qui dresse

Un outil agricole dans un endroit plus cultivé du pays

Vont pas quand même

Récrire dans l'œil de ma mémoire

Ce dessin broussaillé qui déchire le temps ?

[...]

 

James Sacré, Le paysage est sans légende, "Al Manar", éditions Alain Gorius, 2012, p. 20-21.

 

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06/10/2012 | Lien permanent

James Sacré, Le paysage est sans légende

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                           Malgré des mots qu'on y met

 

Je me rappelle très bien, près d'une ville dont on pourrait dire le nom

La forme d'un village courant sur l'arête d'un long rocher

On le voit à partir d'un autre parvis de pierre

De ce côté-ci de la faille avec du vert qui suit un cours d'eau

Il y a eu soudain la présence d'un jeune garçon

Dans un vêtement blanc, son invite à traverser. Quelques mots.

On pourrait dire son nom et donner une adresse.

Une autre année le village est resté dans la solitude de nos yeux.

Dans son peu de vert, avec le brillant d'un souvenir.

 

Une autre année presque tout

Disparaît dans un poème.

 

                                            *

 

Je m'en retourne où je ne verrai pas

Ce qui ressemble à du paysage déchiré dans la montagne ;

Si le vif des pentes nues

En cette fin d'octobre, et quelques silhouettes dans le lointain

Peut-être une ou deux mules, la pointe d'un capuchon

Ou le geste qui dresse

Un outil agricole dans un endroit plus cultivé du pays

Vont pas quand même

Récrire dans l'œil de ma mémoire

Ce dessin broussaillé qui déchire le temps ?

 

James Sacré, Le paysage est sans légende, dessins de Guy Calamusa,

Al Manar, éditions Alain Gorius, 2012, p. 20-21.

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29/07/2012 | Lien permanent

James Sacré, Anacoluptères

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Une tellement courte collection que depuis c’est tout parti en poussière, fines pattes cassées, débris d’élytres qui brillent encore. Depuis si beau temps d’en allée dans les prés : la grande herbe se cloutait de buprestes dans la douceur de la flouve et des scabieuses. Comme des bijoux dans le foin d’un corps nu. À quoi t’as rêvé sans savoir. Tout ça que tu disposais dans la boîte pas vitrée, le foin rentré un peu plus tard, c’est plus rien que poussière et reste de vieux fourrage sur les fagots de la grange. Comment ça pourrait.

Ramener du printemps dans les mots d’un poème ?

 

Au lieu de m’amuser à parler d’insectes, à l’âge que j’ai comme dirait maman, comme elle a toujours dit, je ferais mieux sans doute de penser à comment j’ai vécu, à comment je continue.

Toutes ces grandes questions qu’on s’est mal posées, personne qu’a répondu. Le sentiment, la mort, le monde et les gens. Ça mériterait peut-être encore un effort. Au lieu de ça me voilà avec des poèmes comme des fourmis dans les jambes. Une petite odeur acide. Les yeux pas plus hauts qu’un peu de terre en tas mêlée à des brindilles.

C’est-y s’amuser ? Les insectes sont aussi du vivant, à l’écart des mots futiles. Comme autant de questions ?

Maman s’en va, j’entends mal ce que dit maman… maman comme une grande fourmi dans le temps.

 

James Sacré, Anacoluptères, illustrations Pierre Yves Gervais, éditions Tarabuste, 1998, n. p.

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28/03/2011 | Lien permanent

James Sacré, Des animaux plus ou moins familiers

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           Une semaine avec James Sacré

 

                      Animaux

 

                           I

 

   Animaux velus sales et grossièrement familiers je vous vois : je lèche un sexe rouge et me réfugie dans vos fourrures et près de vos dents.)

 

Langage

Nul animal n'y est sauf

Grand cheval rouge ou licorne grande

Misère le mien (lequel ?) m'arrache

Des larmes il traîne à l'envers la charrue

Je rage quoi disparaît

Dans le temps parti je langage

 

   Je vais rêver l'été sera clair il faudra un texte qui prenne régulier le format de la page voilà au centre de l'enfance (l'été s'y abreuve) un cerisier grandit la lumière est l'évidence du bleu je vois par dessus des buissons un bord de tuiles une maison je regarde je désire un poème qui serait du silence le même bleu (j'y bois la transparence de nulle écriture) au centre un cerisier n'y rêve pas que je meurs.

[...]

 

James Sacré, Des animaux plus ou moins familiers, André Dimanche, 1993, p. 27-28.

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04/02/2014 | Lien permanent

James Sacré, Des animaux plus ou moins familiers

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                            Animaux

 

                                         4

 

Quand la pluie. Naïf j'y pressens le bonheur : un pays paraît j'y entre et plus rien ne souffre : le temps devient l'herbe, des toits plus rouges (peu d'herbe : plantain maigre, renouée). Les arbres longtemps sont fans la pluie. Les arbres longtemps sont dans la pluie.

 

(Dans la lumière que ménage une ouverture de l'écurie (solitude et paille — midi) sous la masse confuse du taureau tout le dessin pesant fin de l'appareil génital tremble (peut-être) ou c'est le jour dans l'été ou la parole du poème : je déchargerais très longtemps tant de foutre ; je devine l'inabordable richesse de mourir.)

 

 Quoi le bonheur ? Le matin naît dans la rencontre d'un gris (pluie, maison délabrée) et d'objets. Un encrier est immédiat — une faïence et des pommes rouges : demandent-ils un poème ? Leur présence est-elle vraie ? J'écris bien ce poème mais où pèse le temps que j'envahis ?

[...]

 

James Sacré, Des animaux plus ou moins familiers, André Dimanche, 1993, p. 39.

 

 

 

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25/06/2013 | Lien permanent

James Sacré, Le paysage est sans légende (recension)

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                                      L'écriture du paysage

 

   Le paysage est sans légende rassemble cinq poèmes, chacun composé de plusieurs suites de vers, qui composent un récit singulier et dont l'unité répond à celle des dessins (encre de Chine et aquarelle) de Guy Calamusa. La particularité du récit provient de son motif, exploré d'autres manières dans une partie importante de l'œuvre : que peut-on écrire (ou dessiner) de ce que l'on a vu ? Qu'est-ce qui, d'une expérience, peut être restitué par les mots ? Le titre semble donner une réponse, si "légende" désigne une note explicative : rien de juste ne sera dit — ce que confirme, inscrit avant la page titre, la mention Le vrai titre s'est effacé.

   Le livre s'ouvre sur la description d'un paysage dessiné dans laquelle, pour le lecteur, tout apparaît lisible, soigneusement cerné, visible : le vert y domine et s'y détachent des formes. Cependant, cette reconstruction du paysage par les lignes et les couleurs et par la mémoire n'est guère satisfaisante pour James Sacré ; le temps passant, venu le moment de l'écriture, les mouvements observés avaient perdu de leur réalité et il devenait impossible de leur redonner un sens, comme si tout ce qui avait été vu, vécu, s'était défait, que les différents éléments du paysage — les pentes, les vallées, les arbres — et les femmes qui y travaillaient ne pouvaient être mis en place, que la tentative du regard sur le passé était vouée à échouer : tout se perdrait dans le vert, couleurs à peine présente sur le dessin. On relève au fil des pages les verbes qui traduisent la difficulté, voire l'impossibilité, de tenir ensemble les différents moments du temps, à associer les pièces d'un espace qui se dérobe : brouiller, trembler, déchirer, détruire, (se) défaire.

   Plus loin, quand on lit « Je me rappelle très bien », suivi d'un embryon de description, vient rapidement le regret de ne maîtriser que de « fragiles souvenirs » ; on ne peut plus vraiment distinguer les éléments perçus, il s'agit seulement de « silhouettes » — et l'on passe à « J'ai cru reconnaître », mais il ne reste plus qu' « une broussaille / De ratures ni dessin ni rien d'écrit »(1). Il y a une perte irréparable, puisque rien ne peut faire que ce qui constituait un ensemble ne soit pas, dans l'écrit ou le dessin, en désordre. Cette relation du paysage réel, dans lequel on a vécu, et de l'écrit est décevante, et les traits sur la page ne parviennent pas mieux que les mots à approcher la réalité — « Quelqu'un n'est plus/ Qu'un léger dessin de rien ». C'est aussi vers le rien que s'abîment les jours de l'enfance, qu'elle soit ou non mise en parallèle avec le présent ; dans les écrits de James Sacré, un passage s'effectue aisément entre le présent (celui par exemple du travail agricole au Maroc) et le passé (celui de la ferme des parents) : mêmes gestes, rapport aux choses analogue, mais « presque tout / Disparaît dans un poème ».

   James Sacré, répondant à la question "Où écrivez-vous ?"(2), précise qu'au moment de l'écriture à sa table, de la reprise de brouillons, interviennent

le souvenir et toute une activité de la mémoire qui mêle à d'anciens sentiments de présence ceux désormais de l'absence et de l'éloignement, de la perte des lieux et des visages, des temps et des espaces ... même quand c'est  dans le plus grand effort de continuité avec le "brouillon" d'abord vécu autant qu'écrit. (p. 47)

 

   Sans doute, c'est dire que « Le monde nous échappe. Et puis / Notre désir aussi » ; ce n'est pas pour autant qu'il faut s'en inquiéter, la poésie n'est pas vouée à fixer les formes des paysages ni à être lieu de mémoire. La re-présentation déçue, le fait qu'écrire n'aboutit — en apparence — qu'à de « minuscules machines de mots pour rien dire », n'empêche pas le poème d'être là, sans qu'il ait pour sujet on ne sait quelle impossibilité de dire quelque chose du réel. Peut-être échoue-t-on dans le désir de fixer une figure stable des choses, mais reprendre inlassablement l'arrangement des mots — des lignes — aboutit à donner un regard sur le monde, si fragmenté qu'il apparaisse ; on pense évidemment à Giacometti qui affirmait : « Tout ce que je pourrai faire ne sera jamais qu'une pâle image de ce que je vois »(3). Il y a toujours chez James Sacré le désir de faire entendre « Le bruit ténu du vivant », et si difficile soit-il à restituer, il est là :

On nomme des endroits de ce monde

L'oued Bouskoura, la rivière Vendée

Un nom de village ou plusieurs choses

Une échelle un puits des noms des mots

Comme pour mieux se tenir au monde

Avec un dessin c'est pas mieux, tout s'éboule

Et pas grand chose

Qui reste dans les mains. Quand même

On est bien.


  James Sacré, Le paysage est sans légende, dessins de Guy Calamusa,

Al Manar / éditions Alain Gorius, 48 p., 16 €.

© Photo Tristan Hordé.


 



1 Ce qui établit une continuité avec les livres précédents : par exemple, Broussaille de prose et de vers (où se trouve pris le mot paysage), publié en 2006 (éditions Obsidiane), abordait aussi, d'une autre manière, le motif de la perte.

2 dans fario, n°11, printemps-été 2012.

3 Alberto Giacometti, Écrits, Hermann, 1992, p. 84.

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14/12/2012 | Lien permanent

James Sacré, Écrire à côté

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Un restaurant dans Paris

 

   Ce 3 décembre 1988

   Les peupliers ne sont plus qu’un peu de gris léger

   Sur la pierre ensoleillée des immeubles, quai d’Orléans

   Quai de Bourbon. On voit maintenant mieux

   Les taches de bleu que font les portes cochères dans les arcatures d’anciennes demeures.

   On y a découpé des portes plus petites, avec au-dessus une ou deux fenêtres, même un balcon.

   Une couleur d’un bleu comme ouvrier qui a

   Un air de dimanche matin dans ce début d’après-midi. Plus loin

   Voilà le restaurant du pont Louis-Philippe son blan cassé,

   Ses tables enchaînées devant, et quelque chose d’endormi

   Dans tout son intérieur : de l’indifférence ou comme une attente apaisée

   Pendant que s’écrit

   Ce 3 décembre léger dans les peupliers de Paris.

 

James Sacré, , dans Affaires d’écriture (2000), Tarabuste, 2016, p. 99.

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19/08/2016 | Lien permanent

James Sacré, On cherche. On se demande

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Entre les vergers de Capitol Reef

(Bientôt la couleur des abricots va mûrir)

Et les dessins d'il y a si longs siècles

Sur les parois de roche ocre et rouge, pas loin

Va le bruit courant de la rivière Frémont.

 

C'est beaucoup d'histoire, mêlée au moment présent,

Qui font de ce lieu vert et frémissant d'eau

Un jardin paradis dans un désert de pierre

Lequel bouge si lentement depuis des millénaires.

Et mon poème est minuscule paradis de mots

Qui savent : écrits, les voilà morts.

 

                                   *

 

Petits objets qu'on achète ou qu'on ramasse

Ce pourrait être un caillou, ici à Capitol Reef, un caillou noir                                    [volcanique

Dans un éboulis, et tout le grand théâtre de roches rouges autour,

Le vert lumineux des jeunes feuillages de peupliers, les dessins

Que les anciens ont laissés sur la plaque de grès tendre, parfois

Tout un pan de pierre tombe et c'est

Quelques mille ans de vie qui s'effondrent :

D'autres cailloux qu'on pourra ramasser, je pense

À des poèmes de Jean Follain dans lesquels l'éternité s'ouvre

À partir de rien, le bruit d'une épingle

Sur un comptoir d'épicerie. Le bruit du monde

Ou le bruit d'un mot. Poème effondré va-t-il pas se reprendre

À partir d'un rien juste à peine donné

Dans le clair d'une après-midi à Capitol Reef ?

Ce caillou qui n'était

Qu'un rêve autour d'un mot.

 

James Sacré, On cherche. On se demande, La Porte, 2014, np.

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James Sacré, Broussaille de bleus

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           Fontaine de mémoire

 

Une fontaine fait son bruit de fontaine

Donne son eau claire

Au silence des buissons, on ne sait plus

Si le jour est grand bleu ou larges avancées de nuées

Tout s’efface ou brille un peu

Parmi des débris de mémoire.

 

Des pays traversés s’emmêlent

En quelques mots familiers qui furent

Ceux donnés par une enfance oubliée.

 

Quels paysages reviendraient dans le courant d’une écriture ?

Un poème fait son bruit de poème, son bruit de poème.

 

James Sacré, Broussaille de bleus, dessins de Jacques Barral, Le Réalgar, 2021, p. 43.

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16/07/2021 | Lien permanent

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