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27/07/2023

Cécile A. Holdban, Osselets : recension

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On ne joue plus guère aux osselets, utilisation de certains os (tarses) du mouton, ensuite faits en plastique. Ce jeu d’adresse demandait une certaine dextérité pour former des figures, les osselets sont ici des mots qu’il faut associer pour créer des arrangements harmonieux.

Osselets réunit en dix courts ensembles des poèmes d’un à cinq vers. L’exergue d’Antonio Porcha pour l’un d’eux ("Nuagier)" aurait pu être retenu pour l’ensemble, « Quand je ne suis pas dans les nuages, je suis comme perdu ». La rêverie et les départs dans l’imaginaire sont en effet au cœur du livre et ce dès l’ouverture, titrée "Minos" : le mythe du labyrinthe devient une création dans le présent d’un "je" (« celui qui le crée / et celui qui s’y perd »), le thème de la perte répété peu après sous plusieurs formes ainsi que celui de la création. Le lecteur partira dans un autre ailleurs avec le dernier ensemble, "Origamis" ; le mot évoque un art minimaliste, celui du pliage du papier dans la tradition japonaise, ici il s’agit de l’association d’un petit nombre de mots pour des parcours parfois complexes, ainsi dans le poème de clôture, « Épitaphe d’un dahlia : / nais, flamboie, tombe ».

 

On s’arrêtera à d’autres titres qui sont des créations linguistiques ou de sens. Ainsi "Vaguier" et "Nuagier" sont construits sur le modèle de "grenier" ; "Larmier", à côté de son sens en architecture, est aussi en rapport avec l’œil (« angle externe de l’œil d’où les larmes s’écoulent »,  dans Osselets c’est un « lieu de larmes ». Le lien entre les larmes et la douleur, le chagrin, est restitué par un jeu de mots, « Chaque larme est un lac / où baigne / l’aigu d’une lame ». On relève un autre jeu de mots, « les vagues » / « divaguent » (rencontre homophonique puisque divaguer n’est pas du tout un composé de vague), mais ces jeux sont isolés, Cécile A. Holdban préfère les reprises qui permettent de construire plus aisément l’unité du texte ; par exemple, l’adjectif "bleu" (« S’il n’y avait qu’un seul bleu possible / le sommeil n’existerait pas », p. 18) apparaît à nouveau page suivante dans trois poèmes sur quatre (poèmes 1, 3, 4) et le nom "aile" du poème 2 est repris dans les poèmes 3 et 4. D’autres éléments assurent l’unité du livre comme la récurrence de quelques mots, notamment « arbre » et « mer », celui-ci peut même être dans des propositions opposées  : « La mer s’avance jusqu’aux yeux / elle remonte peu à peu / à la source des larmes » bascule en « Les larmes sont salées / pour couler vers la mer ».

 

Un autre élément d’unité du livre est apparent, c’est la grande fréquence des métamorphoses. Tout ce qui appartient à la Nature est susceptible de prendre des caractères propres à l’humain et l’on ne s’étonne donc pas de lire que « La pluie adoucit / l’humeur sombre des nuages » ou que « Les nuits servent à fleurir / le sourire des pierres », etc. Certains poèmes restent — joyeusement — sans interprétation immédiate, ainsi « Un œil pourpre flotte dans l’amphore du fleuve », et le lecteur les rapproche des pratiques des surréalistes. Sans proposer des liens trop faciles, ces vers d’Éluard, « Les guêpes fleurissent verts / L’aube se passe autour du cou », pris au hasard dans L’Amour la Poésie, pourraient figurer dans Osselets. La métamorphose du végétal, du minéral ou du liquide, etc., s’effectue simplement avec l’emploi du verbe être (« chaque vague est une nef »), souvent grâce à la comparaison avec comme (« Ce qu’on ignore s’apprête à naître / comme la forme de l’eau (...) »), et très couramment en posant l’existence de la transformation (« Les pierres observent, apprennent, / et parfois même, aiment et bondissent »).

 

Cécile A. Holdban suggère au lecteur de rejoindre un univers où l’imaginaire se substitue à la réalité décevante et dont l’entrée n’est pas sans évoquer Lewis Carroll, « Choisis cette porte, et tu vivras pour toujours / en compagnie de dragons, de fées, de panthères ». L’univers d’Osselets semble, lui, à l’abri des contraintes de la réalité contemporaine, qui n’apparaît jamais. Pourtant, quelques éléments rappellent, discrètement, que le monde des heureuses métamorphoses est d’abord un monde rêvé. Le temps se saisit de tout, « Le temps galope à dos de nuit », et dans un livre où très peu de couleurs apparaissent, c’est le noir qui domine — chant noir, pluie noire, fil noir, eau noire, pain noir... Peut-être faut-il ne retenir que ce qui pourrait venir ?

Le cœur habite la voix
           le temps habite le visage
           la pierre habite la pierre
           tout le reste est encore en chemin

 

Cécile A. Holdban, Osselets, Le Cadran ligné, 2023, 48 p., 13 €. Cette recesion a été publiée dans Sitaudis le 14 juin 2023.

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