14/01/2018
Xavier Girard, L'éléphant de mon père : recension
On connaît Pierre Parlant écrivain — Ma durée Pontormo a paru en décembre 2017 aux éditions nous — et fondateur de la revue Hiems (1997-2003) ; cette année il a publié une collection de livres de petit format (14,8 cm x10,5), intitulée Ekphrasis. On se souvient que le mot s’est d’abord employé pour la description du bouclier d’Achille dans l’Iliade : donc, il se dit d’une description d’une œuvre d’art par l’écriture. Pierre Parlant le prend dans un sens élargi et l’ekphrasis peut alors concerner un lieu, une personne, un objet mis, littéralement, sous les yeux. Les trois premiers textes proposent la description d’un ami disparu (Cyril, Didier da Silva), d’une sculpture du Bernin (Le doigt dans l’œil, Sébastien Smirou) et d’un jouet (L’éléphant de mon père, Xavier Girard). C’est ce dernier texte que je retiens. Un quatrième titre a paru, Le Pistolet, de Liliane Giraudon.
Le récit s’ouvre sur une interdiction : un objet, dont on comprend qu’il s’agit d’un éléphant, un jouet en bois placé sur le bureau du père, échappe aux enfants de la maison : « Nul ne devait l’ôter de là, un point c’est tout. » Il s’agit bien d’un objet « tabou » et c’est cette fonction qui importe, plus que l’objet lui-même qui n’est plus en bon état, après avoir été un "vrai" jouet : le père avait professionnellement dessiné des jouets, mais qui semblaient plus destinés à être des éléments de décor que des jouets. La distance exigée vis-à-vis de l’éléphant est analogue à celle entre le père et les enfants ; aucun échange entre eux, aucune caresse, et tout se passe comme si l’absence de contact physique devait être étendue aux objets. Rien ne devait bouger dans l’univers fermé du père quoi qu’il arrive, « Laisser le chaos en place mais, surtout, surtout : ne toucher à rien. » Parallèlement, le narrateur semble aussi absent pour sa mère : sur l’autel qu’est devenu le marbre de la cheminée du salon, sa photo ne figure pas auprès de celles de ses frères, l’image écartée symbolisant la différence de statut dans la famille — sans doute n’est-il pas comme les autres si l’on en juge par le « regard désapprobateur » de sa mère quand elle le voit lire le Journal de Gide.
Le lecteur ne saura rien de plus à propos de la mère, fermée sur la famille étroite. C’est la mort du père qui change la relation à l’éléphant : lors du partage des biens, le narrateur obtient le jouet. S’est construit auparavant une relation complexe avec le jouet, qui était devenu d’une certaine manière aussi proche que s’il était animé, « Je l’aimais parce qu’il était agonisant, abandonné », écrit le narrateur et, plus avant dans le récit, « Il m’était cher parce qu’il était perdu » ; par ailleurs, l’histoire du jouet, qui a « vécu une autre vie », reste ignorée parce que, selon le narrateur, jamais « personne ne songe à le questionner ». Si l’on écarte l’agonie (l’éléphant n’est plus entier), l’animal semble un double du narrateur qui, à partir du moment où il l’emporte, multiplie les notations ambiguës : « l’éléphant n’avait pas l’air mécontent de quitter le bureau », « Ses yeux (…) me fixaient », etc., pour enfin le définir comme « éléphant sans famille », ce qui pourrait s’appliquer à lui.
Dans l’appartement, le jouet était omniprésent puisque visible « en quelque endroit du salon que l’on se tienne » et sa description a commencé alors qu’il était encore sur le bureau du père. Elle était cependant sommaire, elle se développe seulement quand le narrateur peut le manipuler à loisir. Il en prend précisément les mesures — 25 cm de longueur, 18 de hauteur —, le photographie sous tous les angles — pour compenser la photo manquante ? —, le dessine, relevant que « meurtri par le temps », l’éléphant a perdu ses oreilles et qu’à leur emplacement restent des traces de peinture rouge, « comme si l’arrachement l’avait éclaboussé de sang ».
Les dessins, commente le narrateur, « levaient l’interdit de mon père » ; sans aucun doute si l’on se souvient que dessiner des jouets était la profession paternelle ; l’origine du jouet demeure inconnue et l’on peut se demander si le père ne l’avait pas conservé depuis son enfance. Le récit s’achève justement avec un retour vers un passé perdu : les dessins « ouvrant (…) le paradis de l’éléphant aux aventures du crayon. » Récit troublant dont on découvre à chaque relecture la profondeur sous l’apparence de la simple évocation d’un souvenir.
Les récits de la collection Ekphrasis, de grande qualité, sont malheureusement peu visibles dans une librairie. On peut les commander (5 €) sur le site : collectionekphrasis.bigcartel.com
Xavier Girard, L’éléphant de mon père, collection ekphrasis, 28 p., 5 €. Cette note a été publiée par Sitaudis le 23 décembre 2017.
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