20/11/2019
Eugène Guillevic, Écrits intimes, Carnet, cahier, feuillets 1929-1938 : recension
Guillevic a tenu des cahiers de manière discontinue et pendant une période limitée. Il commence le premier le 27 janvier 1929, écrit irrégulièrement à partir de mai et les notes sont rares jusqu’en janvier 1931 ; le second cahier couvre une période très courte, du 9 août au 1er septembre 1935 et le dernier ensemble, sous le titre "Lieux communs", non daté, rassemble des feuillets sans doute rédigés entre 1935 et 1938. Michael Brophy, dans sa lecture précise, reconnaît dans ces écrits une « période capitale de germination et d’émergence » : Guillevic doute de lui-même mais, en même temps, se construit par la lecture, en estimant dans la poésie et dans la peinture ce qui lui est proche ou ce qu’il éloigne : il s’agit bien d’un temps de formation.
Les notations sur l’écriture même des Cahiers éclairent sur le rôle essentiel qu’ils avaient pour leur auteur. Elles l’aident à « clarifier sa pensée », à réfléchir à propos de ses lectures et échanges, également à prendre des notes qui trouveront un usage dans sa poésie, enfin elles sont aussi « un certain miroir de [sa] vie. » En effet, Guillevic exprime à plusieurs reprises sa croyance en Dieu et implore son secours (« mon Dieu, ayez pitié de moi (...) de ma misère, de ma sécheresse, de mon vide, de mon vice ») et celui de la Vierge, il écrit des poèmes religieux ("Mon Dieu, si plus tard", "Gloire") et dit sa foi (« [je] prie beaucoup et je suis pur »).
Il revient aussi souvent sur ses doutes quant à la valeur de sa poésie, qu’il considère de manière négative ; ainsi à propos d’une esquisse de poème, il écrit « Pauvre nullité ! » ou, relisant des pièces et se comparant à Rimbaud : « nuls, nuls. Des mots, mais aucun courant » ; il recopie des vers qu’il juge sans intérêt : « "Alpes" Neige dangereuse / Tu me parles d’aventure / Et je ne suis pas fait pour ça ». Le doute se maintient dans le second cahier et il pense « ne pas pouvoir faire quelque chose de grand ». Dans le même temps il affirme ses qualités. Il se veut « frère » de Rilke et — nous sommes en 1929 — considère qu’il remplacera Rimbaud comme modèle, sûr de lui : « Je crois que mon vers est neuf » et « J’apporte une nouvelle poésie ».
Ce qui ne varie pas, ce sont les modèles qu’il se donne, et d’abord Claudel et Rilke ; il vante la simplicité, la vérité, le caractère vivant du premier, « aussi près que possible de la vraie prononciation », qualités au centre de sa recherche ; l’influence est si forte qu’il en vient à ne pas le lire trop assidûment à cause de « l’emprise de son vers ». Il se sent proche de Rilke, dont il lit et relit les Cahiers de Malte Laurids Brigge, séduit probablement par la forme de journal du livre ; il apprécie Trakl, dont il traduira beaucoup plus tard quelques poèmes. Ce lecteur exigeant rejette Verlaine, pour lui « trop facile » ; il revient sur son refus dans les Lieux communs, qualifiant l’œuvre de « veulerie » et de « bassesse », violence dans le jugement peut-être liée à l’attitude de Verlaine vis-à-vis de la société ; inversement il loue sans réserve Barrès, « grand homme (...) homme inquiet qui cherche ».
Guillevic est lui-même un homme qui cherche sa voie et, s’il n’atteint pas dans les poèmes recopiés dans les carnets le but souhaité, il ne cesse de répéter que seules la poésie et la création l’intéressent. Son souci, dans son écriture, est de parvenir comme ses modèles à traduire une connaissance de l’homme et du monde ; il s’agit toujours de « libérer la matière (...) lourde, compacte, souffrante », les poèmes devant renvoyer à la réalité, « c’est-à-dire à ce qui est extérieur à eux ». Ce renvoi est à ses yeux réussi ils échappent au temps, et Guillevic développe longuement cette idée en opposant la poésie au roman qui, sauf exception, n’est qu’un document, donc un genre faux ; il cite d’ailleurs des poètes qui, selon lui, sont trop influencés par le roman, comme Patrice de la Tour du Pin et Michaux.
Peu importe que les théorisations de Guillevic ne soient pas toujours convaincantes, ce qui apparaît c’est la conviction qu’il est nécessaire de travailler sans cesse — surtout « dans la solitude » — pour parvenir à créer quelque chose « d’original ». Pour être lui-même aussi : l’écriture des carnets a une fonction thérapeutique en ceci qu’il met sur le papier les éléments d’un projet et c’est là sa « meilleure arme contre la folie menaçante », folie qu’il sent rôder. On lira la trace de l’effort de Guillevic construire son équilibre dans le fac-similé des deux carnets, reproduits en fin de volume, avant la note biographique de Lucie Albertini-Guillevic.
Guillevic, Écrits intimes, Carnet, cahier, feuillets 1929-1938, édition Michaël Brophy, L’Atelier contemporain, 2019, 144 p., 20 €. Cette note de lecture a été publiée sur Libr-critique le 27 octobre 2019.
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25/01/2018
Guillevic, Relier, 1938-1996
Hautbois
À voir autour de lui
Tant de coquelicots
Le bluet
Préférait le rouge
*
Il fait très beau. La terre
Monte les escaliers.
*
À défaut d’océan,
Il y a ta paume
À regarder.
*
À cause
de la branche du frêne,
L’heure est gagnée.
*
Pas la peine, tilleul,
De te cacher en toi,
Je te connais.
*
Le poulain se surprend
Au cri du chat-huant.
*
Dans le verger,
Les pierres des murs,
Les prunes
Comptaient par siècles.
Guillevic, Relier, 1938-1996, Gallimard,
2007, p. 597 et 599.
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02/10/2017
Guillevic, Relier
Brabant
Voir l’étendue
Venir vers toi.
L’espace est plus
Que du volume
Qui veut s’ouvrir.
L’espace n’est pas
Quelque chose qui se donne.
Le souffle de l’étendue
S’appelle l’espace.
Tourne le dos à l’espace
Il te rattrapera.
Tout cela
Que tu ne caresseras
Que de l’œil.
Même si ce paysage
Ne veut pas de toi,
Plonges-y ton front.
De ce paysage
Ne se lèvera
Que ce que tu feras se lever.
Prends autrement
Ce que tu ne peux
Prendre dans tes mains.
Guillevic, Relier, Gallimard,
2007, p. 307-308.
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28/12/2016
Eugène Guillevic, Accorder
Le rire de la saison
Des sacrilèges
Il en faudra
En toute saison.
Implacable autant
Que le rire de la saison
Par les gamins.
Une épeire, un buisson,
De l’herbe, un peu de vent.
Un passant qui hésite
À les déranger.
Un bois
Près de la rivière :
Les menhirs avant le cromlech.
Un ruisseau :
Il se couvrait de vert
Et de friselis.
Loisir de penser
Que ce ruisseau
Vient d’un paradis
Saluer le vallon.
Qu’il y remontera
Tout seul.
Eugène Guillevic, Accorder,
Gallimard, 2013, p. 223-224.
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02/12/2015
Eugène Guillevic, Autres, poèmes 1969-1979
Contes et nouvelles
37
Il n’allait jamais bien loin.
Il avait découvert à l’orée de la forêt
Cette cabane abandonnée
Et il y revenait très vite,
Quand il avait de quoi
Pour quelques jours.
Sans doute n’y avait-il que là
Un arrêt, c’est presque sûr, du soleil
À la tombée du jour, un bon moment,
Comme pour le regarder,
Alors qu’il était
Sur le seuil de la cabane
À savourer, solitaire,
Son gros morceau de pain
Et son vin rouge.
Eugène Guillevic, Autres, poèmes 1969-1979,
Gallimard, 1980, p. 35.
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09/08/2015
Guillevic, Accorder - Être un arbre
Être un arbre
Être un arbre
J’en ai vu
Me signifier
Qu’ils refusaient,
Me prenaient à témoin
De leur insurrection.
Ce n’est pas quand je le désire
Que je suis arbre,
Mais quand l’arbre,
À son heure,
Décide
Que je suis son double
Et jamais
Je ne me suis récusé
Non, je ne me dégagerai pas
Des racines
Je vis
Comme si toutes les racines
Passaient par moi,
Me nourrissant
D’une partie de cette sève
Qu’il leur faut composer.
Guillevic, Accorder, poèmes, 1933-1996,
édition établie par Lucie Albertine Guillevic,
Gallimard, 2013, p. 71-72.
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08/08/2015
Guillevic, Accorder - Présences terraquées
Présences terraquées
I
Mer parsemée d’îlots,
Après un long regard sur vous,
Vous faites revivre
Le cinglant esprit d’épopée
Qui raconte la très ancienne histoire
Du mariage de la terre et de l’eau.
En sourdine
Montent les cantiques
Que e chante l’océan
Quand il rencontre
Un continent.
Ensemble,
Se refusant à tout dire
De la création du monde,
Ils laissent à des îlots
Le soin de la rêver.
II
Oui, roc,
Je te connais
Autant qu’on peut connaître
Du dehors
Quand on n’est pas la chose ?
Moi, il me semble
Que j’ai été roc
Et que pour ça,
Oui, je te connais.
Guillevic, Accorder, poèmes, 1933-1996,
édition établie par Lucie Albertine Guillevic,
Gallimard, 2013, p. 262-263.
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22/03/2015
Guillevic, Relier
Ce nouveau printemps
Ne t’inquiète pas
Du flux de la rivière :
Ce n’est pas lui
Qui te porte à ta fin
*
Ne t’inquiète pas
De l’orage en vue.
Que peut-il bien être
À côté des tiens ?
*
Ne t’inquiète pas
Du soleil ce soir.
Ce n’est pas toi
Qui l’as fatigué.
*
Ne t’inquiète pas
De tes cauchemars.
La nature se venge
De ce qu’elle fait pour toi.
*
Ne t’inquiète pas
Du bec du rapace,
Ce n’est pas à toi
Qu’il doit en vouloir.
*
Ne t’inquiète pas
Pour cette violette,
Elle veut être seule
À se regarder.
*
Ne t’inquiète pas
Du cri du coucou
Si tu sais aimer
Ce nouveau printemps.
Guillevic, Relier, 1938-1996,
Gallimard, 2007, p. 701-702.
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01/01/2015
Guillevic, Coordonnées
— À t'entendre on dirait
Que le jour s'est muré,
Qu'il ne nous reste sur les yeux
Que de la nuit martyrisée.
— C'est moins que rien, c'est tas d'absence.
Sommeil et masse.
— Le merle veut. Qui dirait mieux ?
Il parle d'air
Teinté de sang la nuit dernière.
— Sang ou musique,
On y voit noir.
— Peut-être un homme au fond du puits,
Grimpant encore
Puisque le noir n'est pas le jour.
— Je veux bien, si les roches
Pratiquent d'autres danses.
— Mais la pervenche a d'autres joies,
Car elle en dit
Plus que le pré ne peut en croire.
— Le tremblement léger
Qui n'arrivait à rien
Qu'à se trouver spirale,
En voie toujours de se former
Sans poids ni lieu.
— Un champ de seigle, un toit de tuile
Pour le soleil, et la fillette
Plus près du seigle que du ciel.
— On pourrait faire un jeu
Où les racines seraient surprises.
On les verrait qui alimentent.
— Presque pareils
A l'eau du lac avec la terre
Qui lui fait bol,
Ainsi nous sommes, quand tu pourras.
— Salue, arbre, salue, salue,
Salue la mer si tu vois loin.
Vous n'aurez pas
D'autres amours.
Guillevic, Coordonnées, éditions des Trois Collines,
Genève-Paris, 1948, p. 109-111.
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10/08/2014
Guillevic, Art poétique
Qu’est-ce qu’il t’arrive ?
Il t’arrive des mots
Des lambeaux de phrase.
Laisse-toi causer. Écoute-toi
Et fouille, va plus profond.
Regarde au verso des mots
Démêle cet écheveau.
Rêve à travers toi,
À travers tes années
Vécues et à vivre.
Ce que je crois savoir,
Ce que je n’ai pas en mémoire,
C’est le plus souvent,
Ce que j’écris dans mes poèmes.
Comme certaines musiques
Le poème fait chanter le silence,
Amène jusqu’à toucher
Un autre silence,
Encore plus silence.
Dans le poème
On peut lire
Le monde comme il apparaît
Au premier regard.
Mais le poème
Est un miroir
Qui offre d’entrer
Dans le reflet
Pour le travailler,
Le modifier.
— Alors le reflet modifié
Réagit sur l’objet
Qui s’est laissé refléter.
Chaque poème
A sa dose d’ombre,
De refus.
Pourtant, le poème
Est tourné vers l’ouvert
Et sous l’ombre qu’il occupe
Un soleil perce et rayonne,
Un soleil qui règne.
Mon poème n’est pas
Chose qui s’envole
Et fend l’air,
Il ne revient pas de la nue.
C’est tout juste si parfois
Il plane un court moment
Avant d’aller rejoindre
La profondeur terrestre.
Guillevic, Art poétique, dans Art poétique, précédé de Paroi et suivi de Le Chant, préface de Serge Gaubert, Poésie / Gallimard, 2001, p. 166, 172, 177, 178,180 et 184.
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08/03/2014
Guillevic, Accorder
Pour Jean Tardieu
J'ai pour toi sur ma table un objet rond et lourd,
Un assez gros caillou pour qu'on le nomme pierre,
Ramassé l'an dernier près d'une sablière,
Couleur de longue pluie ainsi qu'était ce jour.
Je veux savoir de lui si je suis son recours,
Mais il répond toujours de façon outrancière,
Comme s'il refusait le temps et la lumière,
Comme un qui voit le centre te boude l'alentour,
Qui n'aurait pas besoin de se trouver soi-même
Et de chercher plus loin qu'on l'accepte ou qu'on l'aime,
Qui n'aurait le besoin, plutôt, de rien chercher.
Nous toujours à l'affût, toujours sur le qui-vive,
Nous qui rêvons de vivre une heure de rocher,
Cherchons dans le caillou la paix des perspectives.
28 décembre 1958
Guillevic, Accorder, édition établie et postfacée par Lucie Albertini-Guillevic, Gallimard, 2013, p. 91.
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18/12/2013
Guillevic, Le Chant
Le Chant
I
Le Chant
C'est comme l'eau d'un ruisseau
Qui coule sur des galets,
Vers la source.
C'est la promesse
De la source au soleil.
Le chant
Ouvre ses espaces
En dehors de l'espace.
Si le chant
N'épouse pas le silence,
Alors il n'est pas.
Le chant élargit
Et concentre
L'espace où il se livre.
Il dit ce qui manque
Quand il n'est pas là.
Où
Nous mènera la chant
Sinn dans l'ailleurs
D'ici même
Et d'on ne sait où,
Ailleurs pressenti
Qu'il nous fait désirer ?
Quand le chant
Se chante lui-même,
Il nous occupe totu.
Le chant
Ne se soucie pas de savoir
S'il arrive à son heure.
Guillevic, Le Chant, dans Art poétique précédé
de Paroi et suivi de Le Chant, Poésie/Gallimard,
2001, p. 323-326.
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03/08/2013
Guillevic, Accorder, poèmes 1933-1996
Ce qui dans la pleine nuit
Te manque
Ce n'est pas que la lumière.
Mais cette espèce de plafond
Qui dans le jour forme le ciel.
Cette absence
Gonfle l'immensité
Te diminue encore.
Te voici fourmi
Sans fourmilière,
Égaré comme dans le néant.
24.01.95
Guillevic, Accorder, poèmes 1933-1996, édition établie et
postfacée par Lucie Albertini-Guillevic, Gallimard, 2013,
p. 283.
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22/06/2013
Guillevic, Lexiquer, dans Accorder
G
Le mot garenne
Pour vivre en nostalgie
Dans le grouillement
Terreux
D'un sous-bois.
*
Le geai,
On dirait à l'entendre
Qu'il connaît son nom.
*
Des mots
Ne supportent pas
Leur généalogie.
*
Tous les yeux
Relèvent
De la géologie.
*
Une goulée de cidre
Est plus sinueuse
Qu'une gorgée d'eau.
*
Je pratique
La grammaire.
La grammaire
M'enseigne.
*
La grange reçoit
La fermentation de l'aube.
*
La grêle
En tombant
Doit se faire mal.
Guillevic, Lexiquer, dans Accorder, édition établie et postfacée par Lucie Albertini-Guillevic, Gallimard, 2013, p. 122-123.
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19/05/2013
Guillevic, Aguets, dans Relier
Aguets
Dans ce que je vois
Tout autour de moi
Qu'est-ce qui n'es pas
Avertissements ?
*
Il y a
Ce qu'il y a.
Il y a
Ce qu'il n'y a pas.
Il y a
Ce qui est entre les deux.
*
On voudrait qu'il y ait
Dans la hauteur de l'air
Des espèces de joues
Que l'on pourrait gifler.
*
Comme est loin
Ce qui somnole en moi
Et près de moi
Ce que je cherche
Dans les lointains.
*
Le ciel de la nuit
Est un bal continuel,
Mais jamais d'idylle.
*
Je ne récuserai pas
La terre,
Elle fait ce qu'elle peut,
Mais lui échappe
Ce qui nous échappe
Et nous taraude.
*
Et ce goût de néant —
Comme si le néant
Avait un goût.
*
Le temps,
J'ai tout mon temps,
Mais il en a, lui,
Beaucoup plus.
*
Ce n'est pas rien
D'avoir à porter le monde,
Courage !
(1991)
Guillevic, Relier, Gallimard, 2007, p. 495-497.
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