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Philippe Jaccottet, L'Ignorant, dans Œuvres

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            Chanson

 

  Qui n'a vu monter ce rire

comme du fond du jardin

la lune encore peu sûre ?

Qui n'a vu s'ouvrir la porte

au bout de l'allée de pluie ?

 

(Ah ! qui entre dans cette ombre

ne l'oublie pas de sitôt !)

 

  Les bras merveilleux de l'herbe

et ses ruisselants cheveux,

la flamme du bois mouillé

tirant rougeur et soupirs...

 

(Qui s'enfonce dans cette ombre

ne l'oubliera de sa vie !)

 

  Qui n'a vu monter ce rire...

Mais toujours vers nous tourné,

on ne peut qu'appréhender

sa face d'ombre et de larmes.

 

Philippe Jaccottet, L'Ignorant, dans Œuvres, préface de Fabio Pusterla, édition établie par José-Flore Rappy, Pléiade /Gallimard, 2014, p. 147.

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14/03/2014 | Lien permanent

Philippe Jaccottet (2), L'Obscurité, dans Œuvres

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   Chemin faisant, l'esprit troublé autant par la curiosité que par l'inquiétude, je ne pus m'empêcher de songer aux circonstances dans lesquelles j'avais rencontré pour la première fois l'homme que je craignais presque, maintenant, de revoir. Le rayonnement  de son intelligence était alors si grand que beaucoup le recherchaient pour faire de lui leur conseiller ou leur compagnon. Moi, très jeune encore dans cette grande ville où je ne voyais qu'un chaos de passions et de pensées tout ensemble attirantes et redoutables, attentif à ne pas m'y perdre, je m'étais imaginé, sur ce que l'on disait de lui, qu'il pourrait m'aider. Je ne voulais lui demander que de mettre un peu d'ordre dans la multiplicité des tentations qui m'assaillaient, des possibilités qui s'ouvraient devant moi ; j'étais de ces prudents à qui il faut tracer une voie, faute de quoi ils se croient bientôt perdus. Du moins puis-je me reconnaître le mérite d'avoir voulu que cette voie fût la plus juste, au risque de la trouver malaisée.

   J'avais donc appris qu'une cérémonie discrètement officielle était organisée pour consacrer la réputation de cet homme que je ne connaissais encore que par elle. Je ne voulais me laisser arrêter par ce que je prévoyais qu'une telle manifestation pourrait avoir de théâtral ; je chercherais seulement à deviner si cet homme avait  vraiment un secret, si l'éclat dont était entouré son nom n'avait pas sa source hors de lui, comme c'est trop souvent le cas, mais vraiment dans son cœur. La crainte de la foule, de m'y mal comporter, s'ajoutant à une attente presque avide, avait failli m'ôter le courage, au dernier moment, de pénétrer dans l'immeuble où je savais qu'aurait lieu la soirée.

[...]

Philippe Jaccottet, L'Obscurité, dans Œuvres, préface de Fabio Pusterla, édition établie par José-Flore Rappy, Pléiade / Gallimard, 2014, p. 179.

 

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15/03/2014 | Lien permanent

Philippe Jaccottet (3), Paysage aux figures absentes

 

Philippe Jaccottet, Paysage aux figures absentes, oiseaux,buisson, poésie

                    Oiseaux invisibles

 

   Chaque fois que je me trouve au-dessus de ces longues étendues couvertes de buissons et d'air (couvertes de buissons comme autant de peignes pour l'air) et qui s'achèvent très loin en vapeurs bleues, qui s'achèvent en crêtes de vagues, en écume (comme si l'idée de la mer me faisait signe au plus loin de sa main diaphane, et qui tremble), je perçois, à ce moment de l'année, invisibles, plus hauts, suspendus, ces buissons de cris d'oiseaux, ces points plus ou moins éloignés d'effervescence sonore. Je ne sais quelles espèces d'oiseaux chantent là, s'il y en a plusieurs, ou plus vraisemblablement une seule : peu importe. Je sais que je voudrais, à ce propos, faire entendre quelque chose (ce qu'il incombe à la poésie de faire entendre, même aujourd'hui), et que cela ne va pas sans mal.

 

Philippe Jaccottet, Paysage aux figures absentes, dans Œuvres, préface de Fabio Pusterla, édition établie par José-Flore Tappy, Pléiade / Gallimard, 2014, p. 489.

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16/03/2014 | Lien permanent

Philippe Jaccottet, À la lumière d’hiver

Philippe Jaccottet, À la lumière d’hiver, neige, visa

Sur tout cela maintenant je voudrais

que descende la neige, lentement,

qu’elle se pose sur les choses tout au long du jour

    elle qui parle toujours à voix basse —

et qu’elle fasse le sommeil des graines,

d’être ainsi protégé, plus patient.

 

Et nous saurions que le soleil encore,

cependant, passe au-delà,

que, si elle se lasse, il redeviendra même un moment

visible, comme la bougie derrière son écran jauni.

 

Alors, je me ressouviendrais de ce visage

qui demeure, lui aussi, derrière

la lente chute des cristaux humides,

qui change, avec ses yeux limpides ou en larmes,

impatiemment fidèles...

Et, caché par la neige,

de nouveau, j’oserais louer leur clarté bleue.

 

 

Fidèles yeux de plus en plus faibles jusqu’à

ce que les miens se ferment, et après eux, l’espace

comme un éventail peint dont il ne resterait plus

qu’un frêle manche d’os, une trace glacée

pour les seuls yeux sans paupières d’autres astres.

 

Philippe Jaccottet, À la lumière d’hiver précédé de

Leçons et de Chants d’en bas, Gallimard, 1977, p. 96-97.

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03/12/2012 | Lien permanent

Andrea Zanzotto, Idiome, traduction par Philippe Di Meo

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   Écoutant depuis le pré

 

Sur la touche, le doigt anéanti insiste

sur une note toujours ratée

et pourtant inhumainement juste

  au-delà de tout exemple réussie

Une note, jusqu’à ce que sang soit le doigt,

puis, il s’estropie, en un mouvement

  de trille raté

au-delà de tout exemple

néanmoins reréussi

Rayonnant depuis toute chose, une offre infinie

parvient sur cette note, sur ce doigt

énervé, et d’ailleurs depuis longtemps anéanti,

qui veut la prendre en charge, donner crédit

  à une partition universelle possible,

déverser d’une bande enregistrée

dans une autre

non moins mythique instrument

Une adresse ou une déclaration d'expéditeur

insistante comme bec de pic-vert,

c’est sur ce doigt que tape l’offre,

  sienne-unique, de rien-du-tout, qui n’allèche rien,

  et, toujours creusant sur cette touche,

  et toujours la ratant, dans la déserte

réalité, qui par ailleurs s’affine comme matin,

son obstination contre tout pourquoi,

son inépuisable ni existible pour qui, pour quoi,

  ajuste, devine

 

 

Ascoltando dal prato

 

Insiste il dito annichilito sul tasto

in una nota sempre sbagliata

eppure disumanamente giusta

  al di là di ogni esempio azzeccata

Una nota fino a che sangue è il dito

e poi si azzoppa in uno sbagliato

  movimento di trillo

  al di là di ogni esempio

  tuttavia riazzeccato

Un’infinita, irraggiante da tutto, offerta

arriva su quella nota, su quel dito

innervosito, anzi da tempo annichilito,

che vuol farsene carico, dar credito

  a un possibile universale spartito

  riversare da un nastro registrato

  a un altro

  non meno mitico instrumento

Un indirizzo o un’una dichiarazione di mittente

come becco di popicchio insistito

è in quel dito cha batte l’offerta

  sua-unica, da-nulla, che nulla alletta

  e che scavando per sempre in quel tasto

  e sbagliandolo sempre, nella deserta

realtà che per altro come mattina s’affina,

la sua ostinazione contro ogni perché,

il suo per chi per che non mai esauribile

  né esistibile assesta, indovina

 

 

Andrea Zanzotto, Idiome, traduction de l’italien, du dialecte haut-trévisan (Vénétie)  et préface par Philippe Di Meo, José Corti, 2006, p. 36 et 37.

 

 

 

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26/08/2012 | Lien permanent

Philippe Jaccottet, Chants d'en bas

 

 

Parler donc est difficile, si c’est chercher… chercher quoi ?

Une fidélité aux seuls moments, aux seules choses

qui descendent en nous assez bas, qui se dérobent,

si c’est tresser un vague abri pour une proie insaisissable….

 

Si c’est porter un masque plus vrai que son visage

pour pouvoir célébrer une fête longtemps perdue

avec les autres, qui sont morts, lointains ou endormis

encore, et qu’à peine soulèvent de leur couche

cette rumeur, ces premiers pas trébuchants, ces feux timides

   nos paroles :

bruissement du tambour pour peu que l’effleure le doigt inconnu…

 

Philippe Jaccottet, Chants d’en bas, dans À la lumière d’hiver, Gallimard, 1977, p. 59

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02/09/2012 | Lien permanent

Philippe Jaccottet, Observations et autres notes anciennes

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Il m’a semblé parfois (mais quelles chimères n’invente-t-on pas, presque honnêtement, pour justifier ses limites !) que ma plus vraie vie, ma seule vraie vie, n’était faite que des moments pour lesquels j’avais cru trouver une expression un peu juste ; comme si devenir poésie, si peu que ce fût, leur conférait plus de réalité, ou, plus précisément encore, les révélait, les fixait, les accomplissait. Sans doute survivaient-ils déjà d’une certaine manière dans le souvenir ; mais la parole leur ajoutait quelque chose qu’elle était seule à pouvoir leur donner, une valeur, et une espèce de privilège. (Sans doute ces moments ne me semblaient-ils pas arrachés au temps pour la simple raison qu’ils pourraient me survivre, si les poèmes étaient beaux. Car enfin les œuvres qui nous paraissent les plus assurées de durer ne sont encore que de très fragiles feuilles de papier, qui brûleront ou moisiront un jour. Mais comment expliquer ce que l’on ne ressent que confusément, encore que profondément ? Disons qu’il ne s’agirait pas de prolonger son nom au-delà de la mort, ni même de le faire durer des moments fugitifs ; mais plutôt de donner à ces moments fugitifs une sorte de forme spirituelle — et forme est encore mal dire ; ainsi le parfum de la violette de mars, qui fanera pourtant, semble creuser un couloir ténébreux et velouté dans le mur du temps et s’ouvrir brusquement sur ce qui n’a plus ni nom, ni parfum, ni saison).

 

Philippe Jaccottet, Observations et autres notes anciennes, 1947-1962, Gallimard, 1998, p. 37-38.

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11/08/2012 | Lien permanent

Philippe Beck, De la Loire, éditions Argol : recension

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De la Loire : On pense à un traité ; on lit les moments d’un parcours – 40 Vagues de pierre – de Nantes à l’estuaire de la Loire, des villages de la rive nord du fleuve ou de la rive sud (Le Pellerin, Trentemoult) à Donges et Paimbœuf, et pour qui connaît les bords de cette Loire-là il retrouvera détails, minuscules (les joncs de la rive) ou visibles traces du passé (la Tour à Plomb, à Couënon). Les noms de lieux et les détails ne suffisent pas pour reconstruire un paysage, et l’on retiendra autre chose de cette promenade jusqu’à la mer. Suivre la Loire c’est aussi un voyage dans la langue, éprouvée dans ses possibles, et dans la littérature comme s’il s’agissait d’éprouver et de développer l’affirmation de Thoreau donnée en exergue : « Il y a dans un fleuve et son paysage quelque chose de comparable à la culture et à la civilisation ».

On ne lira aucune description d’une nature, parce qu’il serait incongru de vouloir restituer la « polysémie sans masque » (Celan, cité par P. Beck) qui se manifeste lors du parcours, le fleuve transformant ce qu'il traverse : « Loire est nuancier habité » et « Fleuve est idée migrante, idée voisine, ou idée circulante dans l’immobile provisoire, le Promeneur Absent ». Ce n’est pas que la Loire soit simple prétexte à mots puisqu’elle existe, et ses îles, ses cordes de sable, vagues, rives, herbes, et au-delà arbres et toits d’ardoise. Mais elle aussi parcourue dans l’imaginaire et c’est le Lignon emporté par le fleuve, le Lignon de l’Astrée, Céladon rêvé, l’Arcadie évanouie :

 « Les morceaux d’amour sont mouillés.

Rien ne peut les sécher. »

 

S’il y a une réalité, elle dans les nombreux fragments et bribes cités – « J’ai sorti des citations de l’eau, ici et là, maintenant » – ; Thoreau, régulièrement, et dans la dernière Vague de pierre, pour tirer leçon d’un parcours : il faut être voyageur et aussi « matelot de pont, et sur le pont du monde ». Le déplacement d’un lieu à un autre implique un narrateur , qui emprunte des voies à l’écart du fleuve, interrompant le mouvement pour interroger ce que peut être la poésie, et la poésie n’est pas que découverte des rapports entre les choses du monde. « J’écris avec les mots que la chose me jette », pour citer Hugo ; insuffisant pourtant. Être plutôt « ministre des proses-paysages », et lire ministre ici comme le minister latin : "instrument", "intermédiaire". Ressortit de ce choix la nécessité de créer des mots, à l’imitation du fleuve qui sans cesse semble reconstruire le paysage. Et : « Les mille rides blanches avancent. Elles futurent et toujournent. » ; « Et des salicaires violettent les franges en face de la Terrasse d’Abandon ». Ce n’est pas que le vocabulaire fasse défaut, mais bien que  les impressions provoquées par le parcours sur la Loire n’appartiennent qu’à ce parcours, obligeant à l’invention – et le parcours sur un autre fleuve contraindrait à  d’autres inventions.

La Loire est aussi « le miroir à composer. Miroir d’eau sans tain. » Et qui donne une image de la nature entière, avec toutes ses failles, ses obscurités, ses éclaircies. D’où souvent l’élision de l’article devant le nom et l’usage de la majuscule pour sortir de l’individualité. Ce que Philippe Beck rappelle par une citation de Pavese : « Le lieu mythique n’est pas le lieu individuellement unique, type sanctuaire ou lieux analogues, mais bien celui de nom commun, le pré, la forêt, la grotte, la plage, la clairière qui, dans son indétermination, évoque tous les prés, les forêts, etc., et les anime tous de son frisson symbolique. » Ce n’est plus la Loire, mais Loire, le pont ou le canal, mais Pont et Canal. Par cette sortie de l’unique, le parcours de Nantes à l’estuaire, et retour, deviennent méditation, mouvement vers soi : « « L’espace est le monde extérieur le plus intérieur » (Hermann Broch). »

L’usage régulier de la citation, de noms ou le renvoi à des peintres contribuent à éloigner de la représentation, à déplacer vers la littérature ce qui est rapporté d’un simple parcours. Henri James, Hopkins, Nerval, Rilke, Turner, Jean Renoir, Hugo, Leonid Tsypkine, Zhang Dai, Balzac, Celan, Segalen — d’autres, Thoreau souvent. De la Loire comme un journal où se mêlent aux vers et proses de Philippe Beck les moments de ses lectures, autres parcours. « Rivières et nuages font le liant dans le chant dehors. « N’est-ce pas comme si j’étais paisible, quand je trouve, au dehors, sous le ciel ardent, d’autres difficultés et d’autres excès que ceux de mon cœur ? » Senancour sort et devient description. Des descriptions. (Peine a tendance à rentrer dans son cas.) »

 

Philippe Beck, De la Loire, Argol, 2008, 17€.

 

 

 

 

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16/08/2012 | Lien permanent

Federigo Tozzi, Les Bêtes (traduction Philippe Di Meo)


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  Je reviens dans les grandes prairies, que j'aimais avant même de lire Pétrarque, pour voir les fleurs que j'aurais offertes, il y a bien des années, à une jeune fille que j'imaginais comme je la vois maintenant dessinée dans certain livre. Elle devait être surtout gentille et sentimentale ; et elle devait m'aimer toujours autant, même si je l'avais épousée Et, parfois, relisant nos lettres, nous aurions soupiré à l'unisson.

   Mais cette année aussi, il y a des fleurs et peut-être même davantage, car le temps a été moins sec ; et alors, l'envie me prend de courir vers l'horizon pour voir si je parviens à étreindre cette femme qui me semble plus vivante que parle passé.

   Mais il y a seulement une hirondelle qui trisse.

 

                                           *

 

   J'ai toujours eu peu de temps pour aimer quelqu'un

   Cet été était si chaud que dans le ciel lui-même, il n'y avait pas de place pour lui. On eût dit que le soleil se levait toujours plus grand, et il était impossible d'imaginer le moment où il se coucherait.

   Haies empoussiérées, cyprès sur le point de sécher, semble-t-il, arbres morts, sorghos et maïs devenus blancs, réseaux d'araignées si brillants qu'ils semblaient faits d'un métal qui couperait les mains, portes crevassées, tonneaux défoncés, la terre si dure que plus personne ne la travaillait, les lits des torrents sans libellules et à l'herbe fanée, saules qui ne poussaient plus, mûriers à feuilles minuscules, socs luisants, pierres qui échaudaient, nuages rouges comme des flammes, étoiles filantes !

 

   Sur le nœud d'un olivier chante une cigale : je l'aperçois. Je m'approche, sur la pointe des pieds, en équilibre d'une motte de terre à l'autre. Je l'attrape. Je lui arrache la tête.

 

Federigo Tozzi, Les Bêtes, traduction de Philippe Di Meo, collection Biophilia, José Corti, 2012, p. 34-35, 48.

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25/05/2012 | Lien permanent

Jean-Philippe Salabreuil, La liberté des feuilles

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                   Chant du chien

 

Saint François et la Fontaine

Essenine et Supervielle !

C'est ce chien de Salabreuil

Avec sa pelisse en deuil

Qui vous jappe cantilène

Au bord du poème obscur

Depuis sa niche d'étoiles

Et l'ombre à son souffle impur

Se replie au creux du monde

Quelle honte quelle honte

Vous êtes en plein soleil

Et des lambeaux de sommeil

Faseyent sur vos épaules

Quand passe dans la nue molle

Un tourbillon d'or poisseux

Mais voici que parmi ceux

Qui se lèvent tôt sur terre

Vous prêtez à la lumière

Votre oreille en papier blanc

Et ma voix de chien descend

Noire depuis cette vie

Sur ces fleurs qu'elle déplie

Comme fait l'aube au printemps

Avec celles éclatantes

De vieux pommiers pour qu'y entre

Le bourdon lourd et en creux

Du jeune orage d'avril

Ne soyez pas mécontents

Ce chien fou avec sa queue

Fouette ce n'est pas facile

Un lait d'astres poussiéreux

Non sans mouches et taons bleus

Souvenez-vous l'air s'attarde

Un soir de mauvaise garde

À l'odeur de foin coupé

Dans des profondeurs sans âge

Puis l'os long d'un paysage

Un peu de lune à laper

Qu'on nous jette de la route

Bouillon triste maigre croûte

Pour que meure la chanson

Au mâchis des rogatons

Mais c'est à minuit

Que hurle le jeune chien

Moi j'ai peur et le vent tourne

Autour de tout et de rien

Et je le sens qui me flatte

Soulève abaisse ma patte

Je grogne de vieille peur

J'aboie après des lueurs

Vagabondes qui m'entraînent

Ayant rompu toutes chaînes

Pardonnez-moi de toujours

Vous cherchez au lin du jour

Me lamenter à vos trousses

Quand votre mort est si douce

Et si grand votre plaisir

À marcher seul et n'offrir

Plus aucun chant au silence

Pardonnez-moi ma constance

À vous suivre et vous trouver

Ma gueule jamais lavée

Mes ongles rongés de boue

Lorsque je me tiens debout

À votre épaule très chaude

Ma langue pend j'ai faim l'ode

Mauvaise me met en soif

Que toute une vie radieuse

Me fut donnée mais lépreuse

La fis pour mourir au coin

Noir du paradis des chiens.

 

Jean-Philippe Salabreuil, La Liberté des feuilles,

collection "Le Chemin", Gallimard, 1964,

p. 63-65.

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08/06/2012 | Lien permanent

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